« DOA, rétablir le chaos » : Élise Lépine a rencontré l’auteur de polars

Les formidables éditions Playlist Society donnent la parole à DOA, l’auteur – entre autres – de Citoyens Clandestins et de Pukhtu. La journaliste Élise Lépine questionne cet écrivain secret et discret sur son parcours et sur son œuvre. Passionnant !

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© Francesca Mantovani / Gallimard

Faut-il encore présenter DOA ? Qui ignore encore que derrière cet acronyme se dissimule l’un des auteurs majeurs de notre époque ?

Ces questions purement rhétoriques étant posées, il convient de reconnaître que savoir qui est DOA ne signifie pas nécessairement connaître l’auteur et son projet littéraire. Le livre d’entretien publié par les éditions Playlist Society permet justement de mieux cerner le mystère DOA – mystère d’un auteur discret et exigeant dans une époque qui a tendance à rejeter ces valeurs.

rettablir le chaosPrécédé d’une brève introduction qui rappelle les jalons de cette œuvre en construction, l’entretien mené par la journaliste Élise Lépine s’articule ensuite en cinq parties. La première d’entre elles (« Avant l’écriture et Les Fous d’avril ») permet de dissiper un certain nombre de rumeurs qui circulent autour du passé de DOA : l’origine de son pseudonyme, son passage au sein d’un régiment de parachutistes, sa carrière dans l’industrie du jeu-vidéo… Pudique, l’écrivain livre les éléments qu’il juge essentiels pour mieux comprendre qui il est, d’où il vient et les prémices d’une œuvre qui n’est alors qu’en gestation. Longtemps sa discrétion a été interprétée comme la preuve qu’il avait quelque chose à cacher. La critique et le public ont parfois fantasmé un passé trouble au sein du renseignement français dont il décrit les arcanes avec une sidérante précision. DOA rétablit ici la vérité tout en se préservant et en passant sous silence ce qu’il estime devoir rester intime – et non pas secret.

La suite de l’entretien, toute aussi passionnante, revient sur chacun de ses livres et décortique sa méthode de travail. Il raconte ainsi ses débuts au Fleuve noir, sa collaboration décisive avec Dominique Manotti, son fameux cycle clandestin composé des monumentaux Citoyens clandestins, des deux Pukhtu mais aussi du très sec Serpent aux mille coupures. Élise Lépine et l’écrivain évoquent aussi longuement le méconnu Lykaia, roman très noir dans les milieux BDSM, un livre qui marqua sa rupture avec l’éditeur Aurélien Masson et désappointa beaucoup de lecteurs. Enfin, DOA explique la genèse de Rétiaire(s), son dernier roman paru en janvier 2023, à partir d’un scénario pour une série télé à la manière de The Wire.

Tout au long de l’entretien, DOA explique et s’explique : son souci du détail, son goût pour la documentation, son obsession de la réalité, sa conception de la littérature… Assez rapidement, le livre d’entretien sur DOA prend les allures d’une réflexion sur la littérature, son rôle, ses enjeux. L’écrivain expose son avis – toujours très tranché, très clair – sur ce que doit être selon lui l’œuvre romanesque. Et c’est passionnant. Dans une époque où le livre s’apparente souvent à une marchandise comme une autre, un produit que l’on écrit pour séduire le lecteur (en d’autres termes, un produit que l’on cherche à vendre), DOA revendique sa liberté. Il n’écrit que pour lui, et certainement pas pour faire plaisir à ses lecteurs. Pour DOA, écrire, c’est affronter ses peurs et « arpenter les zones de gris », comme le dit si justement Élise Lépine. Écrire, c’est rétablir le chaos » et essayer de lui redonner de l’ordre.

Grégory SEYER

DOA, rétablir le chaos
Entretien par Élise Lépine
Éditeur : Playlist Society
155 pages – 10 €
Parution : 22 juin 2023

“Rétiaire(s)” de DOA: noirceur et décadence