À travers le parcours d’Yvonne Nguyen, une jeune femme qui rêve de faire carrière dans la comédie musicale, Stéphane Ly-Cuong signe un film musical qui dénonce avec humour et entrain les préjugés auxquels se heurtent quotidiennement les Français d’origine vietnamienne.
Yvonne Nguyen rêve de faire carrière dans la comédie musicale mais, pour l’instant, elle doit se contenter du rôle de « la reine des nems » dans un centre commercial. Avec son prénom breton et son patronyme vietnamien, cette presque quadragénaire illustre les difficultés d’intégration et la quête identitaire de ces enfants d’immigrés qui se heurtent à bien des idées reçues. Yvonne, qui a grandi en France, se voit sans cesse ramenée à cette « Baie d’Halong » qu’elle ne connaît pas, sinon en tant qu’enseigne du restaurant de sa mère à Torcy. C’est avec intelligence et humour Stéphane Ly-Cuong, lui-même né de parents vietnamiens, s’attaque dans La Cuisine des Nguyen aux clichés et préjugés qui sont les nôtres, les utilisant et les détournant pour mieux les dénoncer.
Difficile de jouer le rôle de Marie-Antoinette ou de Jeanne d’Arc quand, comme Yvonne, on est visiblement d’origine asiatique. Si, en plus, on a déjà « un certain âge » et quelques rondeurs, les chances d’être engagée sont proches de zéro. À côté de sa participation aux spectacles peu rémunérateurs d’une modeste troupe de quartier dirigée par son ami Koko (Gaël Kamilindi), Yvonne (Clotilde Chevalier) vit d’animations où elle vante les mérites de spécialités culinaires de son pays. Mais elle ne lâche rien, a foi en sa vocation de Fée des Lilas, au grand dam de sa mère (Anh Tran-Nghia) qui la verrait bien travailler à ses côtés dans le restaurant familial. Un jour, enfin, la chance paraît lui sourire : un casting s’annonce pour un rôle de princesse chinoise dans une comédie musicale consacrée à Casanova… Est-ce pour Yvonne le début de la carrière tant rêvée ?
Entre l’univers de la scène avec ses rêves pailletés qui nous emmènent à Broadway et la réalité bien plus terre-à-terre d’une cuisine de banlieue parisienne qui nous transporte au Vietnam, le film illustre les deux pôles de la vie d’Yvonne. D’un côté, un monde frelaté où règne la concurrence, le souci du paraître, la vanité, le narcissisme (Camille Japy en chorégraphe prétentieuse et ratée ) le snobisme et les préjugés – irrésistible prestation de Thomas Jolly en metteur en scène au discours aussi creux que condescendant, doublé d’un racisme inconscient. De l’autre, un espace chaleureux, celui de cette cuisine que dirige de main de maître la mère d’Yvonne, aidée par sa tante. Le lieu des origines, de l’intimité familiale, où l’amour autorise désaccords, disputes, invariablement suivis de réconciliations.
Film musical et film sur la comédie musicale, Dans la cuisine des Nguyen intègre harmonieusement les passages chantés et dansés à son intrigue. Il est ainsi l’occasion d’une réflexion sur le genre, et plus généralement sur le monde du spectacle. Peuplé d’egos boursouflés, il s’avère frileux dans ses choix et prisonnier de bien des idées reçues. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont Stéphane Ly-Cuong lui-même utilise les stéréotypes, comme s’il voulait nous conforter dans nos représentations pour mieux les remettre en question. Quoi de plus cliché en effet qu’une vieille dame vietnamienne aux commandes d’un restaurant, s’exprimant dans une langue mêlée et manifestant son incompréhension face aux rêves de sa fille ? Mais, inversement, quoi de plus surprenant que la vocation d’Yvonne qui s’obstine dans une voie où les préjugés lui donnent peu de chances de réussir ?
J’ai passé un bon moment devant La cuisine des Nguyen et j’ai suivi avec un intérêt amusé les heurs et malheurs d’Yvonne NGuyen, cette héroïne atypique que Stéphane Ly-Cuong avait déjà mise en scène dans Cabaret jaune citron. Le film a le mérite de s’intéresser à une communauté peu représentée au cinéma, pour laquelle se pose, avec sans doute moins d’acuité que pour d’autres, la question de l’identité et de l’intégration. Mais si le réalisateur nous montre une Yvonne écartelée entre ses ambitions artistiques et le désir de ne pas trahir sa mère et ses origines, il le fait avec légèreté et humour – en couleurs et en musique ! Au-delà des sujets graves qu’il aborde, Dans la cuisine des Nguyen respire la joie et la tendresse et nous fait rêver à une société où une double culture serait vécue non pas comme pas comme un déchirement mais comme une richesse.
Anne Randon