Nos poils, le dernier Lili Sohn, remet en question nos « préjugés », nos croyances, vis à vis de ce que nous considérons comme joli ou vilain, comme propre ou sale, quand on parle du corps féminin. Une attaque efficace contre les préjugés.

Les plus âgés d’entre nous se souviennent certainement que, au XXe siècle, hormis la question du rasage des aisselles féminines, qui était associé dans le bon sens populaire, à une question d’hygiène et d’odeurs corporelles, la pilosité féminine n’était pas franchement un sujet. Aujourd’hui, l’injonction de l’épilation quasiment totale pour les jeunes femmes est devenue incontournable, créant une contrainte additionnelle pour répondre à ce que l’on qualifie de « standards de la beauté ». Les mouvements féministes ont progressivement – et c’est logique – répliqué à cette pression sociétale, en l’associant au « male gaze », et en faisant de la pilosité un instrument, ou au moins une représentation du refus de la masculinité toxique. Ce qui est logique, mais probablement simplificateur. Quid de l’influence de l’hygiénisme « américain », et du puritanisme qui va avec, qui s’est subrepticement répandu en Europe ? Quid du business du porno, qui a construit une image « épilée » des rapports sexuels, aussi bien pour les hommes que les femmes ?
Par rapport à toutes ces questions, et à bien d’autre encore qui se posent quand on est une femme « soumise » aujourd’hui à ce diktat de l’épilation, Lili Sohn (dont on avait apprécié le précédent livre sur le Grand Domaine à Marseille), s’est remise en question elle-même, et s’est lancée dans une audacieuse aventure personnelle : laisser sa pilosité naturelle « revenir » (ou presque…), et affronter non seulement le regard des autres, hommes et femmes, amis, membres de la famille ou inconnus, mais aussi son propre jugement quant à son apparence. Un projet auquel elle réfléchissait depuis longtemps, et sur lequel elle s’est concentrée pendant un an : un projet qu’elle détaille dans les plus de 200 pages de No(s) poils, qui couvre, au fil de chapitres entremêlés, une perspective historique sur la pilosité, des considérations sociétales, scientifiques, artistiques, et, évidemment, son propre parcours de « repousse » contrôlée de son système pileux. Le tout à travers son joli graphisme (faussement) simple, rond et impactant, et ses textes concis, précis, et régulièrement illuminés par un humour léger.
On regrettera par contre la dérive militante sur la fin, autour de « l’écoféminisme », qui décrédibilise un peu, avec un discours presque caricatural, la démarche très personnelle, et assez mesurée, qui a été celle de Lili jusque là. Et on regrettera une conclusion qui, logiquement, certes, reflète surtout l’indécision dans laquelle demeure l’autrice, même si elle a fait elle-même quelques progrès dans son rapport à son propre corps.
Peut-être que la seule question qui reste à l’esprit en refermant No(s) poils, c’est bien ce « Tout ça pour ça ? » qu’elle se pose elle-même. Reconnaissons au moins que, en tant qu’homme, on s’est senti questionné, voire parfois inconfortable, à la lecture de ce livre, en particulier sur la manière dont notre propre regard sur la pilosité des femmes a évolué, au fil du temps et en dépit de tout, en concordance avec celui de la société toute entière.
Ce qui n’est pas si anodin que ça. Ce qui prouve l’efficacité de la démarche de Lili Sohn.
Eric Debarnot
No(s) poils : Mon année d’exploration du poil féminin
Dessin et scénario : Lili Sohn
Editeur : Casterman
248 pages – 22,00 €
Date de parution : 5 mars 2025
