Sur les traces du Corto Maltese de Hugo Pratt : 10. Tango (1987)

Après avoir projeté Corto dans la guerre civile turque, puis dans le conflit russo-japonais, Hugo Pratt offre à son héro un temps de repos, en Argentine, un pays qu’il connait pour y avoir vécu 12 ans.

Tango image
© Hugo Pratt / Casterman

Corto est de retour à Buenos Aires. Nous sommes en 1923. Dix-sept ans plus tôt, il y a côtoyé Butch Cassidy et ses camarades. Après leur fuite des États-Unis, les « outlaws » ont été embauchés par les grands propriétaires terriens pour maintenir leur « ordre ». Mafieux, policiers et politiques s’inquiètent. Si Corto recherche le magot accumulé par les anciens gangsters, ne risque-t-il pas de déterrer de vieilles affaires ? Très vite, les balles fusent et les crapules s’entretuent.

Tango couvertureCorto a beaucoup d’amis. Certains sont prestigieux, il apprécie des écrivains, tels Gabriele D’Annunzio ou Jack London, mais aussi des personnages plus contestables, comme le Baron Fou ou le jeune Joseph Staline. Corto ne juge pas ses compagnons. Il se garde de prendre parti, il n’a pas de leçons à donner, tout au plus un trésor à recouvrer ou un ami à aider. Il se contente d’observer, de commenter et de passer son chemin. Pratt sait entretenir le mystère, nous ignorons l’origine d’amitiés suffisamment fortes pour que Staline l’ait épargné en Russie, ou que Butch Cassidy sorte de sa longue retraite afin de lui sauver la vie.

Corto n’est pas en quête de trésor, le preux chevalier a répondu à l’appel aux secours de Louise Brookszowyc. La Belle de Milan l’avait aidé dans Fable de Venise. Après être tombée dans les filets de proxénètes, elle s’est liée à un journaliste d’investigation, tous deux ont été assassinés. Il promet de la venger.

Par son trait épuré, sa ligne épaisse, ses ombres audacieuses et ses gros plans intrigants, le dessin a atteint sa maturité. Corto Maltese est désormais unique.

Quelques mots sur la musique. L’album a été publié en Italie sous le titre de « Y todo a media luz », le nom d’un célèbre tango, chanté par le grand Carlos Gardel. La couverture et l’extraordinaire scène du bal y font référence. Un pistolet claque et expédie le policier corrompu « ad patres », quand, sans transition, Pratt nous projette au cœur de la piste. La haute société danse. Les femmes sont belles, les regards brillent et les corps s’animent.

« Un telefón que contesta
Y una vitrola que llora
Viejos tangos de mi flor
Y un gato de porcelana
Pa que no maúlle al amor »

(Un téléphone qui répond / Et un gramophone qui pleure / Vieux tangos de ma fleur / Et un chat en porcelaine / Pour que l’amour ne miaule pas)

Selon la formule consacrée, le tango est « une pensée triste qui se danse. »  Sensuel et complexe, il associe improvisation et règles précises. Adaptant leurs passes au rythme de la musique, les couples s’observent en marchant. La partition joue avec la nostalgie et la passion latines, l’eau et le feu. De fait, un Corto mélancolique et ombrageux marche dans la ville, danse et séduit, défie et combat au son d’un lointain tango.

L’histoire surprendra les amis du gentilhomme de fortune : elle ne s’éloigne guère des quartiers mal famés de la métropole et le fantastique se cantonne aux deux lunes d’un rêve récurent, mais objectivement sans lien avec l’histoire.

L’album souffre de la faiblesse des seconds rôles. Esmeralda est toujours aussi belle, mais elle se contente de l’héberger. Les tueurs s’entretuent, seule émerge la personnalité du puissant parrain local. Alors que sa fille, responsable de l’antenne locale de l’Armée du salut, danse avec ses invités, le très respectable et massif Señor Harban fait enterrer ses victimes en son jardin.

Pratt livre un très classique roman noir. L’inspiration de Tango doit plus au Grand sommeil de Raymond Chandler ou au Faucon maltais de Dashiell Hammett qu’à La Balade de la mer salée ou à Corto en Sibérie. Corto enquête. Sa seule présence dérange, les corps tombent. L’argent corrompt tout, les puissants sont intouchables et une éventuelle justice, ou vengeance, ne frappera que des hommes de main. Vivement le retour à la mer et

Stéphane de Boysson

Corto Maltese, tome 10 : Tango
Scénario et dessin : Hugo Pratt
64 pages en noir et blanc
Éditeur : Casterman
Prépublication dans le mensuel italien Corto en 1986
Parution : 1987

Hugo Pratt – Corto Maltese : Tango – Extrait :

Tango extrait
© Hugo Pratt / Casterman

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