Un quartier populaire de Toulouse, des habitants qui se croisent sans vraiment se connaître. Dans son nouveau roman, Pascal Dessaint orchestre une succession d’événements fantaisistes et construit ainsi un récit choral dans lequel un humour souvent décalé permet de porter un regard très lucide sur la fragilité de la nature.

S’il n’est sans doute pas l’une des figures les plus populaires du roman noir français, Pascal Dessaint en est néanmoins l’un des représentants les plus singuliers. Auteur de romans parfois très noirs (Bouche d’ombre, par exemple), d’une série de polars mettant en scène l’inspecteur Félix Dutrey, Dessaint est l’un des premiers romanciers à avoir mis en avant les questions environnementales. Les rapports entre l’Homme et la Nature sont souvent au cœur de son œuvre et c’est une nouvelle fois le cas avec cet étonnant roman, L’Envers de la girafe, publié par Rivages/Noir sans qu’il s’agisse pourtant à proprement parler d’un polar.
L’Envers de la girafe, comme tout bon roman choral, multiplie les points de vue et les personnages. Tous vivent dans un quartier populaire de Toulouse. Il y a d’abord Gaspard, chargé de la vidéosurveillance d’un carrefour de ce petit coin de la ville rose. Or Gaspard ne va pas très bien : sa femme vient en effet de lui annoncer qu’elle a un autre homme dans sa vie… Il a donc bien du mal à se concentrer sur son travail et sur la formation de son nouveau collègue. Ce dernier, Lucas, se passionne quant à lui pour les girafes. Bien décidé à tout savoir sur cet animal, il se plonge dans toute la littérature scientifique qui existe à ce sujet. Mais sa vieille mère acariâtre lui fait vivre un cauchemar au quotidien et Lucas rêve en secret de se débarrasser d’elle…
Zélie, jeune femme fantasque et passionnée, vit, elle aussi, dans ce quartier où elle s’est déjà fait remarquer : parce qu’elle sort parfois nue sur son balcon, mais aussi et surtout pour ses combats environnementaux. Pierre, son compagnon, transporteur spécialisé en matières dangereuses, l’observe souvent avec circonspection et inquiétude. Lorsque des élagueurs débarquent dans leur rue pour effectuer leur travail, Zélie s’emporte : et les nids d’oiseaux qu’elle a aperçus, qui va les protéger ?
Enfin, il y a « L’Homme à la craie », un vieil homme qui arpente les rues du quartier, une craie à la main. Dès qu’il aperçoit une mauvaise herbe, il inscrit le nom de la plante sur le trottoir. Si cette activité intrigue les passants, l’état de son jardin qu’il n’entretient plus depuis longtemps exaspère l’un de ses voisins… Et la tension monte, lentement, inexorablement…
Cette présentation des protagonistes de L’Envers de la girafe, que l’on apprend peu à peu à connaître et auxquels on s’attache rapidement, ne traduit évidemment pas le principal intérêt du roman : son étrange tonalité, qui mêle noirceur et gravité mais aussi humour et fantaisie. Les situations sont souvent improbables, les réactions des personnages plus qu’étonnantes. Et pourtant le drame n’est jamais loin. Il a eu lieu, le passé des personnages, on le découvre peu à peu, en a été marqué. Et il se produira à nouveau, on le pressent rapidement. Pascal Dessaint est très habile dans la combinaison d’éléments pourtant assez disparates mais qu’il associe dans ce qui s’apparente très vite à une fable sur la fragilité de la nature et la folie qui nous guette. La fin du récit met ainsi en scène une série d’événements dramatiques, voire tragiques, mais auxquels le romancier nous a lentement préparés. Le tout n’est jamais didactique ni pesant, encore moins moralisateur. Pascal Dessaint a l’art de trouver le ton juste, l’apparente légèreté ne dissimulant rien des drames et des enjeux d’un récit qui séduit vraiment par sa singularité.
L’Envers de la girafe plaira donc aux lecteurs en quête d’un peu de fantaisie et d’originalité, deux qualités dont on a bien besoin en ce moment…
Grégory Seyer