Dans notre monde parfois plus glacial qu’à la surface d’un météore, où se côtoient des milliers de solitudes éphémères, ce récit primé à Angoulême tente de nous réconcilier avec notre humanité. C’est infiniment triste, mais infiniment beau aussi.

La fin du monde est-elle proche ? Alors qu’une météorite se dirige à toute allure vers la Terre, le monde s’organise pour tenter de stopper sa course folle. Pendant ce temps, dans une Amérique oubliée, loin des grandes métropoles, les habitants tentent d’affronter le quotidien, encore peu préoccupés par la menace venue du fond de l’espace. Dans un décor hivernal, viennent s’entrecroiser des destins ordinaires et souvent cabossés, de « ceux qui ne font que passer » …
Malgré ce que pourrait laisser penser ce résumé, Les Météores n’a rien du récit catastrophe, et c’est même tout l’inverse. Ici, on serait plutôt dans le registre intimiste, avec une galerie de personnages dont les vies ressemblent tellement aux nôtres… Le météore qui menace la Terre n’est là qu’en toile de fond, comme une métaphore de leurs trajectoires aussi brèves qu’imprévisibles…
Dans cette glaciale atmosphère ouatée à la Fargo où la neige est omniprésente, évoluent des protagonistes aux prises avec la dure réalité du quotidien. Il y a d’abord Floyd, employé comme magasinier dans l’Aeki du coin (on aura facilement reconnu l’allusion à la multinationale suédoise de l’ameublement…). Ce doux géant atteint d’un trouble cérébral qui altère sa mémoire va croiser à un arrêt de bus la route de Hollie, une infirmière itinérante qui visite des particuliers âgés et invalides. Deux personnages qui représentent le point de départ de cette histoire où, à vrai dire, il ne se passe pas grand-chose — on n’aura même pas droit au crash de la météorite, et ce n’est guère spoiler que de le dire… Mais s’il ne se passe pas grand-chose, c’est en apparence uniquement, car l’histoire expose une diversité de portraits bien dessinés psychologiquement, des personnages qui nous semblent si familiers, confrontés à la solitude ou à l’incommunicabilité, avec des préoccupations et des réflexions qui jouent comme révélateurs de leur psyché. Au fil des pages se dessinent leurs cicatrices ou leurs blessures qui ne sont jamais vraiment refermées, peut-être si profondes qu’ils ont opté pour le déni, comme ce patient raciste, arc-bouté dans une posture de provocation vis-à-vis de Hollie, qui visiblement n’a pas la bonne couleur de peau…
Rien de spectaculaire ici sur le plan de l’action, non, mais ces personnages sont si réalistes qu’ils nous touchent et nous bousculent, comme si JC Deveney avait voulu nous tendre une sorte de miroir, évitant toute caricature, pour mieux faire ressortir le monde dans lequel nous vivons, un monde impitoyable où l’empathie est une denrée rare, où les rapports humains, quand ils sont caractérisés par la bienveillance, s’avèrent la seule richesse de nos existences éphémères, a fortiori lorsqu’on se retrouve seul face à notre mort inéluctable. En filigrane, Les Météores est aussi une dénonciation d’un capitalisme insatiable, représenté par la chaîne de magasins Aeki. Celle-ci, sous couvert d’une gestion RH en mode team building, qui n’est rien d’autre qu’une mise à jour condescendante du paternalisme d’autrefois, ne fait que calquer sa politique corporate sur de jolis graphiques excel visant à une croissance sans fin, en faisant passer au second plan le bien-être et la sécurité de ses salariés.
Très en phase avec le propos, le trait délicat et élégant de Tommy Redolfi s’accompagne d’un cadrage qui souligne avec subtilité la posture des corps et l’expressivité des visages, faisant émerger sans pathos inutile l’émotion chez le lecteur. Les couleurs sont sobres, et si elles n’ont rien de chatoyant, collent parfaitement à l’ambiance hivernale et mélancolique du récit.
Judicieusement récompensé par le prix spécial du jury à Angoulême, Les Météores est un récit choral de haute qualité, d’une grande profondeur, où chaque personnage n’est jamais là par hasard, où chacun a son importance. Et pour paraphraser Maggie, cette vieille dame au seuil de la mort, c’est un livre qui ne se contente pas « de vous raconter une histoire avec un début et une fin ». C’est un livre qui s’efforce de ressembler à la vie, où « il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires », où chaque existence, si insignifiante soit-elle en apparence, est riche de sens. En ce sens, la choralité est peut-être la forme de narration la plus moderne, car aujourd’hui — on devrait commencer à s’en rendre compte —, les héros n’existent pas et les sauveurs non plus, pas davantage que le Père Noël. La solution est en nous, dans l’effort que nous fournirons pour nous mettre dans la peau de l’autre et pour faire s’épanouir notre humanité, parce qu’assurément, la réponse à nos maux ne pourra être que collective. Et sans ça, on est foutus. A moins, bien sûr, que le ciel ait décidé de nous tomber sur la tête avant…
Laurent Proudhon
Les Météores – Histoires de ceux qui ne font que passer
Scénario : Jean-Christophe Deveney
Dessin : Tommy Redolfi
Editeur : Delcourt
304 pages – 34,95 € (version numérique : 23,99 €)
Parution : 16 octobre 2024
Les Météores – Histoires de ceux qui ne font que passer — Extrait :
