« Sainte frénésie » à Lagos – Nigeria, quand disparaît une montagne d’argent sale (très haute la montagne, c’était le trésor de guerre des gourous d’une église pentecôtiste). La Lagos Lady est de retour pour un thriller haletant.

Leye Adenle (né en 1975) est un écrivain nigérian qui vit à Londres. On l’avait découvert en 2016 avec son premier roman : Lagos Lady, un polar qui évoquait le milieu de la prostitution à Lagos, ville de tous les excès, et mettait en scène une bonne fée (Amaka, c’est elle la Lagos Lady) qui veillait sur ses sœurs contraintes de vendre leur corps. On retrouve la bienveillante fée Amaka avec le troisième roman de cet auteur (on a sauté une étape), un bouquin au titre bien rassurant : Tout va bien se passer. Ben voyons ! Avec un polar de cet auteur, au cœur de la mégapole de Lagos, on n’en doute pas une seconde : ça va certainement très bien se passer ! Du moins pour le lecteur. Et encore, même pas sûr.
Autrefois sous domination britannique, le Nigéria s’impose aujourd’hui comme un colosse démographique et économique, rivalisant avec l’Afrique du Sud pour la suprématie sur le continent. La corruption y est endémique. À la suite d’un changement politique en 2015, le pays a déclaré la guerre à la corruption et au blanchiment d’argent en mettant en place une Commission des crimes économiques et financiers (l’EFCC évoquée dans le roman) : les gros bonnets du pays entassaient des fortunes colossales d’argent sale. Un dispositif a même été créé pour encourager les dénonciations : un petit pourcentage des sommes colossales récupérées et saisies est attribué au lanceur d’alerte ! Ce fut l’effervescence dans ce pays aux très fortes disparités sociales : aussi bien du côté des dénonciateurs (une petite femme de ménage au courant des cachettes de ses fortunés patrons pouvait ainsi gagner le jackpot sur un simple coup de fil), que du côté des plus riches qui s’affolaient désespérément et cherchaient à planquer rapidement leur magot à l’étranger.
C’est la toile de fond de ce roman. Je n’en dis pas plus pour ne pas trop en dévoiler mais c’est un contexte véridique, typiquement nigérian, et ça décoiffe ! Et encore, ce n’est là que la partie émergée de ce qui vous attend, je n’en dis pas plus ! On retrouve donc la bienveillante Amaka qui, profitant de ses appuis hauts placés, tient toujours sa promesse de veiller sur ses sœurs contraintes à la prostitution. Une lourde et dangereuse tâche (vous redécouvrirez sa combine de Lagos Lady). Il y a là Funke, une escort, c’est elle qui appelle à l’aide Amaka au début du bouquin quand son client, le pasteur Frank se fait abattre dans la chambre d’hôtel. Et puis il y a la bande des escrocs, déguisés en pasteurs et en gourous, qui dirigent l’église ABC of G, la All Believers Church of God : quelques décès inattendus au sein du Conseil et la disparition du trésor de l’Église va faire de ces pitres, des clowns très dangereux. Et puis il y a là l’inspecteur Jubril Musa qui va mener l’enquête sur le meurtre du pasteur Franck. On s’en doutait un peu, la police de Lagos n’a pas trop le sens de l’humour : Jubril Musa est un grand black costaud et musclé qui porte un béret noir. Ses hommes sont équipés de AK-47 quand ils débarquent chez vous.
« […] Nous avons incarcéré les deux suspectes et nous les poursuivrons en justice lorsque nous aurons terminé nos investigations et que nous les aurons convenablement interrogées. »
Ah, comme ce ‘convenablement interroger’ sait se montrer persuasif …
Dès les premières pages, Funke, une escort, est dans de sales draps (si je puis oser ce lamentable jeu de mots) : son client, le pasteur Frank, vient de se faire buter dans la chambre d’hôtel par ce qui semble être des voyous américains, pilotes d’un avion privé. La police (musclée, la police au Nigéria !) est déjà sur les lieux et Funke n’ose pas sortir de sa cachette. Amaka doit rapidement venir à son secours et lui répond : « Bien. Tout va bien se passer. Je te rappelle très vite ». Dans le même temps, Leye Adenle nous plonge en plein chaos au cœur d’une église pentecôtiste, une sorte de secte mafieuse avec des gourous richissimes. Car « il y a quelque chose que vous devez savoir à propos du fonctionnement de l’Église » … ah bon, tiens donc !?
« […] C’étaient des mécènes de l’Église. Tous incroyablement riches et tous au gouvernement ou anciennement au gouvernement, ou encore dans l’armée. Ils étaient également tous membres du conseil exécutif de l’Église, des membres qui non seulement faisaient des dons généreux au ministère, mais qui le soutenaient aussi en devenant co-investisseurs dans ses entreprises commerciales. »
Le chef gourou vient de décéder et le pasteur Frank a été abattu (pour ceux qui ne suivaient pas vraiment, c’était le client de Funke) : c’est lui qui était chargé de planquer l’argent de la bande. Panique à bord, où est passée la montagne de fric ? Mais de ce côté aussi « Ça va aller. Comme je te le dis toujours, tout va bien se passer ». Que lecteur, ainsi plongé en pleine apocalypse, se rassure, il n’y a vraiment pas de quoi s’inquiéter : « tout va bien se passer ». Il suffira d’un miracle.
« […] – Ce qu’il nous faut, c’est un miracle. Je peux vous organiser quelque chose pour demain.
– Vous voulez fabriquer un miracle ?
– Ah. J’avais oublié que vous êtes de la vieille école. Écoutez, egban, les gens ont besoin de miracles. Leur foi a besoin de miracles. Sans miracles, ils se détournent du Seigneur. »
On aime la « sainte frénésie » qui s’empare du lecteur plongé sans trop d’explications (elles viendront plus tard) en plein cœur de Lagos, la ville de tous les excès. Le trésor perdu (on parle quand même de 100 millions de $) va exciter toutes les convoitises, déchaîner toutes les passions, attirer tous les voyous des alentours, transformer le flic le plus incorruptible en un bandit sans foi ni loi, le soldat le plus discipliné en un sinistre tueur de sang froid et le prêtre le plus religieux en un trafiquant de la pire espèce.
C’est un thriller haletant dont le lecteur européen ne possède ni tous les codes ni toutes les clés : c’est quand même l’Afrique, pire : c’est Lagos, dépaysement garanti. Alors on s’accroche, on tremble pour la jolie Funke et sa bonne fée Amaka, on se fait surprendre à chaque coin de rue par les uns ou par les autres, et puis on s’intéresse quand même aux fameux dollars, bon sang où sont-ils passés ?
Leye Adenle maîtrise son récit avec un montage digne d’un film américain : un pré-générique pour un démarrage en fanfare, et puis on enchaîne d’une scène à l’autre (chez les flics, avec Amaka, chez les prêtres, et les pilotes de l’avion, et …) sans jamais avoir le temps de souffler. L’intrigue s’emballe un peu sur la fin avant de découvrir un dénouement … ah non ! j’ai rien dit … avant de reposer le bouquin pour reprendre une vie normale et des lectures plus reposantes.
Bruno Ménétrier