« L’ami de la famille » : Denis Podalydès se souvient de Pierre Bourdieu

L’amitié qui est née à 20 ans entre Denis Podalydès et Emmanuel Bourdieu a ouvert au futur sociétaire de la Comédie-Française les portes de la famille Bourdieu. Évocation de jours heureux, souvenirs de la figure à la fois distante et familière de Pierre Bourdieu. Ce sont les concepts bourdieusiens qui permettront à Denis Podalydès de surmonter son mal-être de jeunesse et qui l’aideront à affirmer sa vocation théâtrale.

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CC BY-SA 3.0

L’ami de la famille, c’est lui, Denis Podalydès. En intégrant en 1983 la khâgne d’Henri IV et en devenant l’ami d’Emmanuel Bourdieu, le fils cadet du célèbre sociologue, il n’imaginait sans doute pas qu’il serait un peu comme le quatrième fils de la famille. Pierre Bourdieu, Podalydès ne l’a jamais lu mais il le connaît, il l’a vu, nous dit-il, à « Apostrophes »… Il le connaît assez en tout cas pour être impressionné lorsqu’il fait son entrée dans cette famille aussi accueillante que cultivée. Si, derrière la timidité d’Emmanuel, il a su voir « sa noblesse d’âme », il va découvrir chez les Bourdieu – chez Pierre comme chez Marie-Claire, son épouse – une générosité sans limites. Auprès d’eux, il connaîtra une harmonie qui s’éloignera des tensions qui déchirent sa propre famille, il trouvera un climat d’apaisement bienvenu alors que lui-même est en souffrance et s’interroge sur sa vocation. Que ce soit dans leur appartement de la banlieue parisienne ou dans leur maison du Béarn, il a le sentiment de se trouver dans un îlot d’intelligence et de bienveillance.

l-ami-de-la-famille-couvLes souvenirs de Podalydès sont épars, éparpillés même, sans réel souci chronologique. Ils sont aussi, il le reconnaît, en partie idéalisés, mais ils constituent le portrait vivant et aimant d’une famille à la fois ordinaire et hors du commun, d’un jeune homme en pleine construction de soi-même et d’une amitié qui ne se démentira jamais. Une amitié placée sous le signe de la littérature – on n’est pas khâgneux pour rien – et de ce roman que Pierre Bourdieu aimait tant : L’Éducation sentimentale de Flaubert. C’est à Frédéric Moreau et Deslauriers que s’identifient les deux jeunes gens, c’est dans leur état « d’apesanteur sociale », leur incapacité à choisir une voie, qu’ils se reconnaissent.

Denis Podalydès n’a jamais été intime avec Pierre Bourdieu. Le sociologue a été pour lui une figure admirée et quelque peu intimidante qu’il a observée, souvent d’assez loin, et de laquelle il s’est, mais plus tard, rapproché. Côtoyer Pierre Bourdieu pour le jeune homme de vingt ans qu’il était alors, c’était comme effleurer du bout des doigts un savoir impressionnant, en recevoir des bribes mais aussi rester à la porte du lieu sacré, le bureau dans lequel il s’enfermait pour travailler. Peu à peu, pourtant, sous l’influence de Bourdieu, Podalydès, longtemps persuadé que la réalité ne pouvait, par définition, être que désenchantement, s’est ouvert au monde, s’est mis « dans le bain du réel ». Il a pris conscience, à travers les concepts bourdieusiens, des trois façons de voir le monde qui le façonnaient : l’habitus de grand bourgeois de sa mère, l’habitus de tout petit bourgeois de son père, et son propre habitus de khâgneux. Et se percevoir ainsi l’a grandement, aidé dit-il, à sortir de son indécision et à affirmer sa vocation théâtrale. Sont ainsi étroitement mêlés dans la mémoire de Podalydès le Pierre Bourdieu familier et le Pierre Bourdieu sociologue, sans que jamais il prétende l’avoir intimement connu ni véritablement étudié. De ses souvenirs émouvants, il nous reste une dernière image : celle de Bourdieu au seuil de la mort, se préparant malgré ses souffrances à « entrer en scène » pour le repas de Noël et à y faire bonne figure, soucieux de jouer son rôle de père et de grand-père. Et il nous vient aussi et surtout l’envie de mieux connaître l’oeuvre de ce grand sociologue, homme pudique et généreux, dont Podalydès fait la figure centrale de son paradis perdu.

Anne Randon

L’ami de la famille, souvenirs de Pierre Bourdieu
Récit de Denis Podalydès
Editions Julliard
159 pages / 21€
Date de parution : le 6 février 2025

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