Moneda, le polar historique de Stéphane Keller, est la chronique d’un coup d’état annoncé : ambiance de fin de règne à Santiago du Chili à la veille du putsch de Pinochet.

Dans ses romans, l’écrivain-scénariste Stéphane Keller explore la période des années 60-70 au cours de laquelle les états se montraient coupables des pires compromissions pour maintenir leur pouvoir et leur emprise sur d’autres nations et colonies.
Ce fut notamment Rouge parallèle (2018) qui nous emmenait d’Alger à Dallas, Telstar (2019) qui nous plongeait au cœur de la Bataille d’Alger et Mourir en mai (2023) dans l’après-guerre.
Des romans qui entremêlent petite et grande histoire.
Avec Moneda, l’auteur nous emmène en 1973 au Chili pour cette chronique d’un coup d’état annoncé, des événements qui ont marqué profondément ma génération.
Stéphane Keller a l’élégance de mêler à ce nouveau roman quelques personnages venus de ses précédents ouvrages.
Comme ce Sébastien Desboz, nouveau nom d’emprunt du cynique Paul-Henri de la Salles, un ancien de la sinistre division Charlemagne mais désormais retraité des ‘affaires’, qui tient désormais Le Bar du Suisse en plein centre de Santiago du Chili, non loin de « la grand-place, celle-là même où se dressait le Palacio de la Moneda, ce palais de la Monnaie qui, depuis le milieu du dix-neuvième siècle, servait de résidence aux présidents de la République. Le Bar du Suisse était à quelques centaines de mètres à peine ».
L’inspecteur Alejandro Vega-Pirri vient y prendre son café.
Il y a là aussi le sombre lieutenant Yanez-Vidal, un soldat chilien du 1er régiment qui tourne autour des jolies serveuses du café.
Dans le bar du faux suisse, le lecteur pourra même assister à la rencontre surprise du faux Sébastien Desboz et du journaliste Guillermo Calderón venu de Madrid pour couvrir les événements qui se préparent.
Mais un bon coup d’état ne se prépare pas sans l’aide active des américains : il nous faut donc également un général deux étoiles, comme Lee Preston Beaulieu, l’homme tout puissant des services secrets de l’armée US.
Aux côtés de ces personnages de roman, on évoquera d’autres personnalités véridiques comme Paul Aussaresses et le colonel Charles Lacheroy venus apporter aux américains leur expérience de la guerre insurrectionnelle et de la torture, un savoir-faire précieux acquis en Indochine et en Algérie.
Le lecteur va même croiser Henry Kissinger, futur prix Nobel de la Paix, ou encore Richard Nixon, le président empêtré dans les eaux troubles du Watergate.
Nous sommes donc au Chili en 1973, à l’aube du coup d’État militaire du général Augusto Pinochet, qui s’apprête à renverser le président Salvador Allende et son gouvernement d’Union Populaire.
« […] — Avec ce qui se prépare…
— Et qu’est-ce qui se prépare… ?
— Allons, Don Sebastian. Vous devez bien deviner. Monsieur Allende ne verra pas le nouvel an. »
Les services de renseignement de l’armée US et l’équipe du général Beaulieu s’affairent à entraîner les militaires chiliens en vue du putsch.
Dans le même temps, la CIA s’occupe activement de semer le chaos au sein de la population civile : elle met sur pied quelques assassinats ciblés, accuse les rouges, finance et orchestre les grèves (comme la fameuse grève des camionneurs), organise la pénurie, …
« […] La situation économique du pays était désespérée. Le travail de sape effectué depuis trois ans par les USA allait porter ses fruits. Les trois millions de dollars alloués par Nixon à la CIA n’avaient pas été jetés par la fenêtre. »
En marge de ces préparatifs politico-militaires, Stéphane Keller déroule une intrigue policière : un tueur en série s’en prend sauvagement aux jeunes femmes qui ont le malheur de marcher seule le soir dans les rues sombres de Santiago.
J’avoue ne pas avoir été vraiment emballé par les imbrications entre les nombreuses intrigues qui nous permettent de suivre les différents personnages. Il y a plusieurs histoires dans l’Histoire, beaucoup de portes ouvertes et l’auteur en referme même plusieurs au fil de son roman.
Certains personnages sont à la limite de la caricature, le trait vraiment forcé, et aucun n’est vraiment sympathique. Quelques femmes peut-être.
L’intrigue policière manque un peu de piquant et le thriller politico-militaire est un peu convenu : on n’en apprend pas assez sur ce coup d’état (les curieux d’Histoire resteront un peu sur leur faim) et tout cela ne suffit pas pour captiver le lecteur.
Il s’agit plus d’un roman d’ambiance que d’un véritable thriller et le côté réussi du bouquin, c’est justement la description de l’atmosphère de fin de règne, de fin d’un monde, qui baigne Santiago (mais aussi les États-Unis où l’ambiance est tout aussi délétère).
Les personnages sont tous plus désenchantés et cyniques les uns que les autres, et ils semblent errer comme des fantômes, perdus dans ce monde crépusculaire.
Bruno Ménétrier