« À retardement », de Franck Thilliez : plongée trouble dans l’univers de la schizophrénie

Avec cette quatorzième enquête de ses personnages fétiches de la brigade criminelle, Franck Sharko et Lucie Hennebelle, Franck Thilliez confirme, s’il en était besoin, qu’il est le maître incontesté du thriller français. A partir du thème des maladies psychiatriques, utilisé ad nauseam par les auteurs de thrillers, il parvient à lui insuffler un regard neuf pour composer une intrigue à la sophistication machiavélique qui tient en haleine jusqu’aux dernières pages.

Franck_Thilliez_2025
© Audrey Dufer

Une disparition inquiétante, celle d’une femme qui n’est pas revenue de sa séance de sport. Une enquête pour un meurtre archi violent, celui d’un homme tué à coups de tournevis, chez lui, sans qu’aucune trace d’ADN et d’empreinte, même pas les siennes, ne soient retrouvées. Un patient délirant qui croit être poursuivi par des vers et a poussé un passager sur des rails, interné dans une UMD (Unité pour malades difficiles), aucun document sur lui permettant de l’identifier.

a retardementA partir de ces points de départ totalement disjoints, Franck Thilliez a composé un récit tentaculaire qui joue avec les nerfs du lecteur qui se retrouve immergé dans un quasi escape game littéraire : à lui d’essayer d’assembler les indices semés par l’auteur pour comprendre les liens entre les trois affaires, sans aucun répit tant l’enchaînement des événements est dense. Au final, chaque pièce du puzzle s’assemble avec une dextérité narrative magistrale qui ne peut que surprendre tant les directions prises par l’auteur sont difficilement détectables, quand bien même on aurait senti quelques débuts de pistes.

Pour aborder la question des maladies psychiatriques, Franck Thilliez a passé quelques jours dans un des onze UMD que compte la France, un de ces établissements qui accueille les personnes les plus instables psychiquement, les plus violentes pour elles et pour les autres, certains ayant commis les agressions ou les crimes les plus graves. Il aborde ainsi la schizophrénie sans les habituels excès glauquissimes, en la dédiabolisant, montrant des personnes qui doivent lutter contre un ennemi singulier qui est leur propre cerveau. L’auteur cherche à comprendre ce qu’il se passe dans le cerveau, et ce qui déclenche cette folie qu’est le passage à l’acte

Franck Thilliez impressionne également par sa capacité à travailler un thème en le creusant à fond, en en tirant tous les fils possibles afin qu’il apparaisse dans toutes ses dimensions, avec à chaque fois une documentation experte qu’il parvient à glisser dans un récit qui conserve sa fluidité. Ainsi, il est question de sciences (notamment à la neurobiologie), d’art (nombreuses références au Cri d’Edvard Munch, à la Nef des fous de Jérôme Bosch et à l’art brut dit « art des fous) tout en s’emparant avec nuances de débats de société brûlants comme celui de la responsabilité pénale.

La prison ou l’hôpital, c’est tout l’enjeu des expertises psychiatriques. Si le discernement est juste altéré au moment des faits, l’auteur du crime est jugé pénalement responsable ; en cas d’abolition du discernement, l’irresponsabilité pénale est retenue avec obligation de soins dans une UMD. L’auteur confronte justice et médecine psychiatrique à travers ses personnages : les flics qui veulent trouver le coupable et le faire condamner, les psychiatres qui veulent juste comprendre leurs patients et l’aider. Et lorsqu’il montre que leurs visions très différentes a priori ne sont pas incompatibles mais peuvent s’unir, c’est très fort car cela questionne une certaine idée reçue très répandue selon laquelle la frontière entre le territoire du mal et celui de la folie n’existerait pas.

L’enquête comme les réflexions sociétales composent ainsi un récit totalement immersif qui happe et tient en haleine, d’autant plus qu’il est construit autour de l’expérience humaine. Les lecteurs familiers de Thilliez retrouveront avec un grand plaisir des personnages qu’ils connaissent depuis près de vingt ans, dont ils ont suivi les évolutions (il y a de nombreuses références à des précédentes enquêtes comme Deuils de miel et La Faille, mais sans que cela ne freine la lecture de néophytes).

Les autres découvriront des personnages terriblement attachants, tous plein de faille et de larmes, mais déterminés à faire éclore la vérité et à survivre dans le chaos. Ici, plus que Sharko et Hennebelle, c’est le flic Nicolas Bellanger qui est mis en avant ainsi qu’une nouvelle venue, la psychiatre Eléonore Hourdel dont on voit le jugement personnel déborder sur son expertise professionnelle jusqu’au vertige.

Un Thilliez grand cru !

Marie-Laure Kirzy

À Retardement
Roman de Franck Thilliez
Editeur : Fleuve noir
456 pages – 22,90 euros
Date de parution : 2 mai 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.