Tiens, écoute ca ! : « Wicked Game » de Chris Isaak

Ce jeudi, notre chronique Tiens écoute ça ! raconte comment Wicked Game, superbe ballade de Chris Isaak, s’est transformée, en partie grâce à David Lynch, en tube à retardement.

Heart Shaped World

Chris Isaak, une passion d’abord française. Hype critique dès la sortie de Silvertone, et déjà un tube hexagonal avec Blue Hotel. Un artiste faussement vintage. La voix sublime synthétise le King et le Roy, la guitare de James Calvin Wilsey marque (entre autres) à la culotte les Shadows et les Ventures. Mais son premier album est en phase avec son temps par son ton, son atmosphère très New Wave. Heureusement il n’y a pas que les Français, ce peuple dont l’adoration pour Jerry Lewis fut souvent moquée Outre-Atlantique, pour avoir le coup de foudre pour le natif de Stockton. Il y a aussi… David Lynch, qui inclut deux titres de Silvertone (Gone Ridin’, Livin’ for your lover) sur son classique instantané Blue Velvet. En plus d’une place sonore primordiale dans le « Lynchland », Isaak fera aussi l’acteur pour le cinéaste dans Twin Peaks : Fire walk with me.

Isaak est justement en phase avec un cinéma américain des années 1980 fasciné par les années 1950. Une décennie souvent représentée par ce dernier comme un paradis perdu en pleine ère Reagan, alors que le locataire de la Maison Blanche a décidé de faire sa peau à l’héritage des sixties. Tandis que les vitrines à l’allure d’Amérique fifties de carte postale de bien des films de Lynch dissimulent le Mal absolu. En 1989, Heart Shaped World sort. Il passe un peu inaperçu dans cet hexagone qui l’a fait King car cette année-là est musicalement très riche, les Pixies et The Cure délivrant (entre autres) leur magnum opus. « At home », l’album passe dans sa première vie 10 semaines dans le Billboard, culminant à la 149ème place.

En juillet 1989, Wicked Game sort en single dans l’indifférence générale. Son salut viendra (en partie) de Lynch. Pour son Sailor et Lula, Lynch puise cette fois dans le Isaak 1989 : Blue Spanish Sky, In the Heat of the Jungle… et une version instrumentale de Wicked Game. Fan de Lynch, Lee Chestnut le programme sur sa radio d’Atlanta en octobre 1990, en rotation intensive deux semaines durant. Le morceau devient un tube aux Etats-Unis… et ailleurs. Le reste du monde a rattrapé la France.

Appelé à être abondamment repris dans les télé-crochets (mais pas que), Wicked Game est aussi bien sûr un morceau sans lequel il n’y aurait probablement pas de Lana Del Rey (qui a chanté le morceau live en duo avec Isaak). Un morceau à propos duquel est souvent dégainé le thème récurrent dans la musique populaire de l’amour non partagé.

S’agissant des modèles d’Isaak ayant arpenté ce terrain, on serait alors plutôt du côté de la fragilité du Roy que d’un King fier comme un coq. Mais c’est en se tournant vers le punk britannique (Les Buzzcocks plus précisément) que l’on trouve le sous-titre idéal du morceau : Ever fallen in love, in love with someone / You shouldn’t have fallen in love with? (Es-tu déjà tombé amoureux de quelqu’un dont tu n’aurais pas dû tomber amoureux ?)

Pour citer Isaak : J’ai écrit celle-là tard le soir et très vite, parce que je me souviens qu’une fille m’ait appelé pour me dire « Je veux venir te parler » et parler était un euphémisme. Et elle ajoute, « Je veux venir et te parler jusqu’à ce que tu ne puisses plus te lever. » Et j’ai dit « Ok tu viens ». Et dès que j’ai raccroché j’ai pensé : Mon Dieu, je sais que je vais avoir des problèmes. Elle m’en a toujours posé. C’est un chat sauvage. Et me voilà, je vais me faire tuer mais je le fais. Et j’ai écrit Wicked Game : le monde était en feu et personne ne pouvait me sauver à part toi. C’est comme si tu commençais à y penser et à son arrivée la chanson était écrite. Et je pense qu’elle était furieuse parce que j’étais plus excité par la chanson que par elle, j’étais un peu « Oui tu es très belle, chérie. Mais écoute cette chanson ! ».

Le morceau s’ouvre sur une phrase – mentionnée dans l’interview – qui aurait fait une parfaite réplique de Sailor et Lula… ou un pitch parfait qui raconte tout du film en disant rien. Le narrateur de la chanson croyait ainsi à la nature providentielle de sa rencontre avec le femme du récit. Le morceau se clôture par un « Nobody loves no one » (Personne n’aime personne). Double négation signifiant la même chose que Tout le monde aime quelqu’un. Et qui lui donne un sens triste : je me referai piéger, puisque je retomberai amoureux.

Le narrateur sait sans doute bien qu’aimer ou désirer fait se comporter les gens de façon bizarre. Mais il mentionne le désir parce qu’il n’est pas tombé amoureux tout de suite : « It’s strange what desire will make foolish people do. » (C’est étrange ce que le désir fait faire aux gens stupides). L’illusion de la phrase d’introduction est ensuite explicitée : « I never dreamed that I’d meet somebody like you / And I never dreamed that I’d lose somebody like you » (Je n’ai jamais rêvé que je rencontrerais quelqu’un comme toi et je n’ai jamais rêvé que je perdrais quelqu’un comme toi). Vivre un rêve qui n’a pas duré.

Avant de remonter le temps au refrain : « No, I don’t wanna fall in love » (Non je ne veux pas tomber amoureux). Le narrateur n’a pas pu empêcher ses sentiments de naître alors qu’ils les savait dès le départ voués à une impasse. Les chœurs lui répondent « This world is only gonna break your heart » (ce monde va briser ton cœur). La partenaire était vue dans l’introduction comme un échappatoire à un monde supposé cruel. Une partie du narrateur semble lui dire que cette partenaire va faire partie de la cruauté du monde. Sans l’empêcher de s’abandonner.

Dans le couplet, le narrateur s’en prend à son ex, pour l’avoir laissé faire tout en étant pleinement consciente des sentiments non partagés. Et de l’avoir laissé la considérer comme sa bouée de sauvetage, son rêve réalisé. Non sans la peindre en manipulatrice qui aurait faut de lui son jouet. « What a wicked game to play to make me feel this way / What a wicked thing to do to let me dream of you / What a wicked thing to say, you never felt this way / What a wicked thing to do to make me dream of you » (À quel mauvais jeu tu joues de me faire me sentir comme ça, quelle mauvaise chose à faire que de me laisser rêver de toi, quelle mauvaise chose à dire, tu n’as jamais ressenti cela, quelle mauvaise chose à faire, de me faire rêver de toi.) Avant une séquence refrain/solo de guitare/reprise du premier couplet/refrain/phrase conclusive (non sans légères variations sur le texte).

Si les poignants falsettos d’Isaak participent bien sûr de la force du morceau, il y a quelque chose d’un peu étonnant dans sa partie instrumentale. En retrait, la section rythmique semble se déployer dans un autre morceau que la guitare de James Calvin Wilsey. La très minimale partie de basse donne le tempo tandis que l’utilisation de baguettes balais, en général plus fréquentes dans le Jazz que dans la Rock, apporte une texture sonore plus douce et plus nuancée qu’une baguette de batterie classique. Wilsey alterne lui à la guitare le long du morceau ambiance hawaienne, arpèges, son à la Shadows et accords isolés.

Cette dispersion apparente résulte peut-être d’un enregistrement aussi laborieux que la composition fut facile. Divers arrangements furent testés. La section rythmique de la version finale fut reprise de précédentes prises de la chanson, samplée et répétée en boucle. A ce côté un peu dispersé s’ajoute la production plus brumeuse et en retrait que son travail pour les deux Isaak précédents d’Erik Jacobsen (Tim Hardin, Lovin’ Spoonful et… le Blue Velvet Band !). Une combinaison offrant au morceau son atmosphère.

Sinon, Wicked Game, c’est aussi la sensualité moite de son vidéoclip le plus connu, celui du photographe de mode Herb Ritts majoritairement en Noir et Blanc tourné à Hawaii avec la top model danoise Helena Christiensen. Et un autre clip moins connu tourné par Lynch pour la VHS de Sailor et Lula : Isaak et son groupe chantant le morceau en Noir et Blanc monté avec des extraits du film. À Isaak chantant le monde en feu succédera un plan d’incendie. Et les extraits rappelleront pourquoi ce texte que l’on n’entend pas dans le long métrage palmé va comme un gant au film de Lynch.

Ordell Robbie.

Wicked Game – les paroles :

The world was on fire, and no one could save me but you
It’s strange what desire will make foolish people do
I never dreamed that I’d meet somebody like you
And I never dreamed that I’d lose somebody like you

(Le monde était en feu et personne ne pouvait me sauver à part toi / C’est étrange ce que le désir fait faire aux gens stupides / Je n’ai jamais rêvé que je rencontrerais quelqu’un comme toi / Et je n’ai jamais rêvé que je perdrais quelqu’un comme toi)

No, I don’t wanna fall in love (this world is only gonna break your heart)
No, I don’t wanna fall in love (this world is only gonna break your heart)

With you, with you

(Non, je ne veux pas tomber amoureux (ce monde ne fera que te briser le cœur) / Non, je ne veux pas tomber amoureux (ce monde ne fera que te briser le cœur) / De toi, de toi.

What a wicked game to play
To make me feel this way
What a wicked thing to do
To let me dream of you
What a wicked thing to say
You never felt this way
What a wicked thing to do
To make me dream of you

(À quel mauvais jeu tu joues / de me faire me sentir comme ça / quelle mauvaise chose à faire / que de me laisser rêver de toi / quelle mauvaise chose à dire / tu n’as jamais ressenti cela / quelle mauvaise chose à faire / de me faire rêver de toi.)

And I don’t wanna fall in love (this world is only gonna break your heart)
No, I don’t wanna fall in love (this world is only gonna break your heart)

With you

(Non, je ne veux pas tomber amoureux (ce monde ne fera que te briser le cœur) / Non, je ne veux pas tomber amoureux (ce monde ne fera que te briser le cœur) / De toi.

The world was on fire, and no one could save me but you
It’s strange what desire will make foolish people do
I never dreamed that I’d love somebody like you
And I never dreamed that I’d lose somebody like you

(Le monde était en feu et personne ne pouvait me sauver à part toi / C’est étrange ce que le désir fait faire aux gens stupides / Je n’ai jamais rêvé que j’aimerais quelqu’un comme toi / Et je n’ai jamais rêvé que je perdrais quelqu’un comme toi)

No, I don’t wanna fall in love (this world is only gonna break your heart)
No, I don’t wanna fall in love (this world is only gonna break your heart)
With you, with you (this world is only gonna break your heart)
No I (this world is only gonna break your heart)
(this world is only gonna break your heart)

(Non, je ne veux pas tomber amoureux (ce monde ne fera que te briser le cœur) / Non, je ne veux pas tomber amoureux (ce monde ne fera que te briser le cœur) / Avec toi, avec toi (ce monde ne fera que te briser le cœur) / Non je… (ce monde ne fera que te briser le cœur) / ce monde ne fera que te briser le cœur)

Nobody loves no one

(Personne n’aime personne.)

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