Le nouveau roman de l’Américain Alex Taylor est composé de deux récits bien distincts qui finissent par s’entrelacer pour mettre en valeur la même idée : le pouvoir de la fiction.

Gasping River, le nouveau roman de l’Américain Alex Taylor, commence comme un classique « Country Noir », l’un de ces polars qui s’inscrivent dans le Sud rural des États-Unis, plutôt que dans les univers urbains traditionnellement associés au genre. On y découvre tout d’abord Glen : ancien boxeur, peintre amateur, il gagne désormais sa vie en exécutant les basses œuvres de Charlie Olinde, un mafieux du Kentucky qui compte sur lui pour faire disparaître les corps des malheureux que Earl et Buddy – deux tueurs au service du truand – ont froidement exécutés. En faisant disparaître l’un de ces cadavres dans la Gasping River, Glen est repéré par Emmalene, une jeune femme qui en sait désormais un peu trop… Il décide alors de l’enlever et de la ramener chez lui, où Emmalene découvre une immense fresque peinte par Glen sur un vieux silo.
Commence alors un autre récit, un autre roman, raconté par Glen à sa prisonnière et qui est censé expliquer l’origine de la peinture. Bien des années plus tôt, Orlean Maceuse, capitaine du Handsome Molly, un navire qui sillonne les longs fleuves du Sud, tombe sous le charme d’une chanteuse nommée Lilac Mary. Il ne le sait pas encore mais ce coup de foudre va bouleverser sa vie et provoquer une succession d’aventures improbables et de drames violents sur plusieurs générations.
Histoire vraie ? Légende ? Mythe ? Cette histoire que raconte Glen à Emmalene sera interrompue plusieurs fois avoir d’être reprise à mesure des événements du présent. Alex Taylor insère ainsi au cœur de son premier récit (celui consacré à l’histoire de Glen et d’Emmalene, bientôt poursuivis par Earl et Buddy) trois très longs chapitres dans lesquels on peut lire cette incroyable histoire de Maceuse et de Lilac Mary, puis de leur descendance. On peut avoir l’impression, au départ, de lire presque deux romans différents : l’un s’apparente à un classique polar rural quand l’autre, plus original, plus fantaisiste, ne cesse de surprendre par ses personnages atypiques et ses développements inattendus. Bien entendu, les deux histoires finissent par se répondre – peut-être de manière un peu artificielle – mais qu’importe. Ce qu’Alex Taylor tisse ici, c’est un roman sur l’importance de la fiction, sur la nécessité de (se) raconter des histoires. Car au fur et à mesure du roman, et jusque dans son dénouement, Alex Taylor nous rappelle le pouvoir de cette fiction : c’est bien l’histoire de Maceuse, de Lilac Mary puis de Molly qui maintient littéralement en vie les personnages du roman.
Gasping River, au-delà de ses qualités propres (et elles sont nombreuses), nous rappelle donc le talent d’un écrivain que l’on avait à tort un peu oublié. Pourtant dès son premier roman, Le Verger de marbre (dont l’action se déroulait déjà autour de la Gasping River), on a su que Taylor est un styliste attaché aux mots – notamment à ceux permettant d’évoquer avec poésie et précision la beauté de la nature. Après Le Sang ne suffit pas – western très violent paru en 2020 –, Gasping River impose définitivement Alex Taylor comme un conteur hors pair.
Grégory Seyer