Suzanne Vega – Flying With Angels : un nouveau classique ?

Retour inattendu, mais en grande forme de la « vétérane » (pardon !) folk rock Suzanne Vega, qui nous offre avec son nouveau Flying With Angels un disque qui ressemble à un nouveau futur classique.

Suzanne Vega
Suzanne Vega © Ebru Yildiz 2025

Après une décennie de silence discographique, l’immense Suzanne Vega revient avec Flying With Angels, son dixième album studio, produit par son collaborateur de longue date, Gerry Leonard, ce qui, quelque part, garantit que, musicalement, nous n’aurons pas affaire à une grosse rupture stylistique : pas de post-punk, dieu merci, ni de garage psyché, ni même d’électro déjantée… Ce dixième opus reste donc dans la continuité de sa discographie, nous offrant une « salade russe » de saveurs différentes, dans les registres pop, rock et folk qui lui sont habituels, avec, cerise sur le gâteau, de discrets épices soul-blues.

Flying with AngelsPlus surprenante sans doute est la coloration « politique » de certains textes, qui évoquent les complexités de la situation actuelle, sans pour autant sombrer dans un militantisme trop lourdaud, ni perdre cette élégance poétique et ce sens de la nuance qui ont toujours caractérisé le travail de Vega. Ainsi, l‘ouverture de l’album avec Speakers’ Corner est clairement une prise de position politique, Vega y abordant frontalement la cacophonie de la désinformation propagée sur les réseaux sociaux par les voix réactionnaires : un couplet comme « All those full of wind and air / Who howl and rant and rave / Screaming out distorted facts / About the souls they save / Promising the miracles / And pocketing the cash / Pretending they have principles / Preaching only ash » (Tous ceux qui sont pleins de vent et d’air / Qui hurlent, fulminent et délirent / Criant des faits déformés / À propos des âmes qu’ils sauvent / Promettant des miracles / Et empochant l’argent / Prétendant avoir des principes / Ne prêchant que des cendres) sonne comme une condamnation sans équivoque du nouveau gouvernement US… même si la voix de Suzanne Vega résonne aujourd’hui dans un grand vide, tant le milieu artistique US, terrifié peut-être par ce qui se passe, ne semble pas réagir aux abus actuels…

Flying With Angels tranche radicalement, en associant l’une de ces mélodies lumineuses qui rappellent les plus grands succès des premières années de Suzanne Vega avec un texte littéralement consacré à « l’élévation » (au sens baudelairien du texte, a-t-on envie de dire), tandis que la conviction dans la voix de la chanteuse s’avère irrésistible : à 65 ans, son chant irradie de jeunesse et d’enthousiasme. Et ça fait un bien fou. Le morceau Witch revient alors à la veine critique de l’introduction du disque, Suzanne semblant associer les effets dévastateurs des dérives du pouvoir US à une sorte de sorcellerie : « Suddenly speech is a show of absurdity / Hand-to-hand he’s fighting to stand / We’re living in a state of a permanent emergency » (Soudain, la parole est une démonstration d’absurdité / Corps à corps, il se bat pour rester debout / Nous vivons dans un état d’urgence permanent…). S’ouvrant comme une fausse ballade folk, Witch bascule dans le Rock grâce à des guitares électriques et des claviers menaçants, en ligne avec les paroles incisives du texte.

Chambermaid est une belle petite surprise, une sorte de relecture du classique de Dylan, I Want You : Suzanne y donne la parole à la femme de chambre évoquée dans le texte original (« Well, I’ll return to the Queen of Spades / And talk with my chambermaid / She knows that I’m not afraid to look at her / She is good to me / And there’s nothing she doesn’t see » – Eh bien, je retournerai à la Dame de Pique / Et je parlerai à ma femme de chambre / Elle sait que je n’ai pas peur de la regarder / Elle est bonne avec moi / Et il n’y a rien qu’elle ne voie), et on espère que le grand Bob appréciera cette réponse féminine malicieuse : « I’m the great man’s chambermaid / I’ve seen where his hallowed head is laid / I revere the places he has stayed / And clean crumbs from his typewriter / He is good to me / There’s nothing he doesn’t see » (Je suis la femme de chambre du grand homme / J’ai vu où repose sa tête sacrée / Je vénère les lieux où il a séjourné / Et nettoie les miettes de sa machine à écrire / Il est bon pour moi / Il n’y a rien qu’il ne voie). Quelle superbe idée, en fait ! Love Thief détonne par rapport à ce qui a précédé par son atmosphère typiquement soul, où la voix de Vega – peu coutumière de ce genre d’exercice – est portée par celle de la chanteuse de blues / jazz Catherine Russell : une parenthèse assez classique pour parler de l’importance de l’amour. Clairement pas un titre essentiel de l’album, mais un plaisir raffiné.

Dans Lucinda, blues rock bien envoyé, Vega rend un bel hommage à Lucinda Williams, à sa classe et à son esprit rebelle : « She’s a Dusty Springfield of the south / Leathery pants and a pale pink mouth / Beehive bleached blond shoulder length straw / Voice is sweet but mostly raw » (C’est une Dusty Springfield du Sud / Pantalon en cuir et bouche rose pâle / Paille blonde décolorée couleur ruche jusqu’aux épaules / La voix est douce mais surtout brute). C’est touchant, mais c’est aussi l’un des morceaux les plus immédiatement accrocheurs du disque. Les courtes trois minutes de Last Train From Mariupol frappent par leur solennité, par leur triste splendeur qui se déploie pour évoquer les réfugiés ukrainiens fuyant la barbarie russe : sans doute le sommet émotionnel du disque.

Après deux chansons aussi fortes, Alley sonne un peu plus conventionnelle, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’aura pas ses fans, sa mélodie éthérée mais lyrique et la beauté de son chant l’empêchant de tomber du côté des chansons dispensables, typiques du fameux « passage à vide de la seconde face ». Rats est le titre le plus rock de Flying with Angels, entre la guitare marquant le rythme, l’orgue grinçante, et le spoken word de Vega : il s’agit de plonger cette fois dans les réalités urbaines, entre refuge sordide et gage de survie dans un monde en perdition. « Rats are on the warpath / Rats are on parade / Come and see them running through / The apocalypse man-made » (Les rats sont sur le sentier de la guerre / Les rats défilent / Venez les voir traverser en courant / L’apocalypse provoquée par l’homme). Pas très gai, mais finalement assez vivifiant !<

L’album se conclut sur Galway, une ballade très traditionnellement folk, entre Dylan et le folklore irlandais, mais superbement enlevée, voire même enjouée, qui permet de le clore sur une invitation à l’espoir et à la rêverie. Comme quoi, pas de renoncement à la Vie chez Suzanne Vega, même quand le ciel s’assombrit : l’espérance peut être trouvée partout, dans le passé de la musique rock et folk, comme dans les promesses du futur…

Avec Flying With Angels, Suzanne Vega signe un retour réellement magistral, fidèle à l’essence de sa musique, mais traversé par les préoccupations de 2025. Un album intelligent, acéré même, susceptible pourtant de plaire au plus grand nombre !

Eric Debarnot

Suzanne Vega – Flyng With Angels
Label : Amanuensis Productions, Inc / Cooking Vinyl Limited
Date de sortie : 2 mai 2025

 

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