Marre d’avoir à choisir entre musique engagée et intelligente mais bien trop sage et rock sauvage au QI de hamster ? mclusky ont la solution pour vous : pogotez et hurlez de rage sans vous abêtir pour autant avec leur stupéfiant (et drôle) the world is still here and so are we !

On pourrait commencer sur un registre informatif, du genre : « après plus de deux décennies d’absence, le groupe gallois mclusky revient avec un quatrième album qui allie l’énergie brute de leurs débuts à une maturité nouvellement acquise. Composé de 13 titres de 2 à 3 minutes pour un total dépassant à peine la demi-heure, the world is still here and so are we est un concentré de noise punk mordant et d’humour acide. » Mais ça n’avancerait pas à grand chose, étant donné que la probabilité que ceux qui nous lisent aient écouté mclusky avant le 7 janvier 2005, date de leur séparation, est redoutablement basse. Alors présentons d’abord mclusky comme s’il s’agissait d’un tout nouveau groupe : voici un « power trio », très en colère, constitué de Andy « Falco » Falkous (guitariste et chanteur), Jack Egglestone (batteur) et Damien Sayell (bassiste et chanteur), qui jouent un rock punk sans compromis, mais également très ambitieux et très intelligent – on retrouve chez eux des échos du chant de Johnny Rotten / John Lydon, mais également de la démarche d’un Mark E. Smith (The Fall). L’idée est de pogoter en enrageant littéralement, mais sans jamais perdre un sens de l’humour qui est l’un des modes de défense / de rébellion les plus rares et précieux qui soient en 2025.
Ce que réussit de manière unique ce the world is still here and so are we est d’exprimer et le chaos du monde, et notre colère face à lui, sans voir à trancher entre l’intellectualisme évident de la démarche de mclusky et le sentiment troublant que tout cela n’est… qu’une vaste blague. Car chaque chanson sur ce disque est, comme l’a souligné un critique britannique, « un espace contradictoire dans lesquels le désespoir et la colère sont tenus à distance par une perspective, vide, et un humour, noir. » Pas mal, non ?
Dès le morceau d’ouverture, unpopular parts of a pig, déjà sorti sur un EP, mclusky affichent leur style : des guitares abrasives mais dissonantes, une basse saturée et une batterie qui percute la boîte crânienne. Des vocaux combinant parodie ironique et crises de rage épileptique. Et puis ces paroles impayables : « « Delicate seeds come from delicate flowers » / That was the horseshit she fed me for hours » (« Les graines délicates proviennent de fleurs délicates » / C’était la merde qu’elle m’a servie pendant des heures), puis « There was blood, of course; there always is / I’d recommend a shower if you want to hug the kids » (Il y avait du sang, bien sûr ; il y en a toujours / Je recommanderais une douche si vous voulez serrer les enfants dans vos bras). La grosse claque, mais hésitant entre rires et larmes. Cops and coppers présente ensuite une sorte de backbeat rappelant l’adoption des codes reggae par les punks londoniens en 1977, mais qui sonne comme si The Clash avaient été des fans ultimes des films Blumhouse. Way of the exploding dickhead, très hardcore dans son approche, déploie toutefois une violence tendant vers la caricature, quand on la met en perspective avec l’ironie cinglante des paroles (« Jerks prefer jerks for sure / I’m sorry, but you know it’s true / ‘Cause jerks prefer jerks like you » – Les imbéciles préfèrent les imbéciles, c’est sûr / Je suis désolé, mais tu sais que c’est vrai / Parce que les imbéciles préfèrent les imbéciles comme toi). Sauf que la conclusion de la chanson rappelle que cette rage-là est tout à fait sérieuse : « Your politicians will never… » Complétez par ce qui vous déçoit le plus aujourd’hui dans la politique,et répétez-le jusqu’à épuisement.
Après un the battle of los angelsea un peu moins intense que les trois tueries d’ouverture du disque, People person retrouve la classe totale, déployant une verve satirique exceptionnelle (« According to your fucking dad / A lot of peoplе like their heroеs bald and fat » – D’après ton putain de père / Beaucoup de gens aiment leurs héros chauves et gros…, soit peut-être LA phrase la plus hilarante et la plus mémorable de l’album) sur un rythme lourd et spectaculaire, et sur une guitare en fusion. Très très fort !
The competent horse thief offre une pause presque mid tempo (mais un mid tempo absurde et déglingué), presque pop (mais une pop vicieuse), avec un chant rappelant – notons combien c’est redevenu pertinent de les citer – les XTC des deux premiers albums. Kafka-esque novelist franz kafka est la chanson la plus rapide, la plus sauvage, la plus chaotique du disque, garantissant des moments de danger physique dans les moshpits durant les concerts… On reste néanmoins totalement dans la schizophrénie qui imprègne tout l’album : peut-être que, en fait, tout cela serait trop insupportable si la violence n’était pas tempérée par un immense sentiment d’absurdité et par la nécessité de faire œuvre de critique sociale pertinente.
The digger you deep est peut-être bien notre chanson préférée de toute : lourd comme du stoner rock, mais déployant une colère infinie, même lorsqu’une mélodie ironique naît au milieu des décombres : car le désespoir le plus noir, le plus nihiliste n’est jamais loin, derrière la provocation : « You’d be better off dead in the dark / Than performatively beating your meat » (Il vaudrait mieux que tu sois mort dans le noir / Plutôt que de te branler pour la galerie.). Une chanson très, très près de l’os ! Autofocus on the prime directive est nettement moins complexe, et est un pur cri de rage sur une trame hardcore punk sans concessions : le chanteur s’étrangle littéralement de rage, et c’est impressionnant. Not all steeplejacks arrive alors comme une opportunité, bienvenue, de prendre un peu de repos : on cautérise les plaies, on adoucit les brûlures, on prend des sédatifs pendant trois minutes trente. Pour repartir à l’assaut de plus belle…
… avec l’énorme chekhov’s guns et son spoken word sur un martellement belliqueux : « Ch-ch-ch-ch-Chekhov’s guns / Shout out the end at the top of your lungs / ‘Cause who’s got time to be fucking around? / Not me, not you, or the other characters » – Les fusils de Tch-tch-tch-tchekhov / Crient la fin à pleins poumons / Parce que qui a le temps de déconner ? / Ni moi, ni toi, ni les autres personnages. Au premier et au second degré, car tout est sinistrement prévisible comme dans une pièce de théâtre respectant les règles de la tragédie, voilà un morceau dont on n’est pas prêts d’épuiser la richesse.
Après une courte minute et sept secondes très directes (juan party-system), mclusky nous balancent une conclusion faussement apaisée (enfin, pour eux) : Hate the polis est le titre le plus long du disque, et devient presque lyrique dans sa peinture et sa réflexion sur l’absurdité du monde actuel.
Conclusion, évidente : The world Is still here and so are we est l’un des albums les plus essentiels de 2025 pour qui aime son rock aussi brutal que drôle et intelligent. C’est l’un des retours (aux affaires…, en forme…, de flamme… etc.) les plus triomphaux entendus depuis très longtemps : mclusky prouvent qu’ils n’ont rien perdu de leur pertinence, de leur rage, de leur mordant… tout en demeurant ludiques et imprévisibles. Et cette fois, gageons que nous serons bien plus nombreux à les suivre.
Eric Debarnot