« Seul l’océan pour me sauver », de Samantha Hunt : Vagues à l’âme

Court roman d’une folle intensité, Seul l’océan pour me sauver de l’Américaine Samantha Hunt est le récit poignant d’une adolescente qui, rongée par la disparition de son père, dévorée par un amour impossible, se persuade qu’elle est une sirène. Une découverte essentielle.

© Marion Ettlinger

On l’écrit à chaque fois ou presque que l’on chronique un roman publié par les éditions du Gospel : livre après livre, Le Gospel construit un catalogue d’une incroyable singularité, et pourtant très cohérent dans sa volonté de proposer une autre voie/d’autres voix aux lecteurs français. Seul l’océan pour me sauver, premier roman traduit en français de l’Américaine Samantha Hunt, s’inscrit parfaitement dans ce projet audacieux. Cela faisait très longtemps que l’on n’avait pas eu l’occasion de lire un livre si « différent » – au point d’avoir bien du mal à trouver les mots justes au moment d’écrire cette chronique. Comment, en effet, rendre compte des multiples sensations éprouvées au cours de cette lecture et de cet émerveillement constant offert par ces 180 pages ?

Seul l’océan pour me sauver raconte l’histoire d’une adolescente qui vit avec sa mère et son grand-père dans une toute petite ville de pêcheurs située tellement au nord que « l’autoroute ne part que vers le sud ». Difficile donc, pour ne pas dire impossible, de quitter ce bled perdu, où règnent l’alcoolisme et l’ennui. La narratrice nous raconte son quotidien, les petits boulots pour survivre, les ragots qui circulent vite mais aussi la disparition de son père dont elle attend désespérément le retour. Elle raconte surtout son amour insensé pour Jude, un vétéran de la guerre d’Irak. Traumatisé par cette expérience, Jude se réfugie dans l’alcool et les relations sans lendemain. Beaucoup plus âgé que la narratrice, il refuse d’être plus que son ami. Obsédée par lui, frustrée par cet amour beaucoup trop chaste selon elle, la narratrice se perd de plus en plus dans une réalité qui se fissure, au point de se persuader qu’elle est une sirène et que l’océan l’appelle…
Constitué de courts chapitres, Seul l’océan pour me sauver surprend et ravit dès ses premières lignes. Dans une prose à la fois simple et sensible (magnifiquement traduite par Alex Ratcharge), Samantha Hunt fait se télescoper deux univers : la morne réalité, celle d’une ville oubliée, engoncée dans une misère désespérante, et une « surréalité », celle imaginée, perçue, vécue par la narratrice du roman.

Des images fantasmagoriques jaillissent ainsi en permanence au cœur d’un récit qui prend alors une autre dimension. Sans doute pourrait-on se questionner longuement sur la réalité des visions décrites par l’héroïne. Seul l’océan pour me sauver appartient-il au réalisme magique ? Le roman de Samantha Hunt flirte-t-il avec le fantastique, voire avec une forme de fantasy ? En réalité, ces questions génériques importent peu à la lecture de Seul l’océan pour me sauver. La force émotionnelle du livre prime de fait sur tout le reste et lorsque l’on referme le livre, il n’est finalement pas utile de savoir si la narratrice a rêvé en partie ce qu’elle nous a raconté, et on n’a pas besoin de savoir si elle est bel et bien une sirène… Ses espoirs, ses doutes, ses peurs, elle ne les a pas imaginés.

Seul l’océan pour me sauver séduit donc par sa justesse de ton et par la poésie d’une écriture qui entrelace en permanence le prosaïsme et l’onirisme. Roman unique et bouleversant, Seul l’océan pour me sauver est une découverte magnifique.

Grégory Seyer

Seul l’océan pour me sauver
Un roman de Samantha Hunt
Traduit de l’américain par Alex Ratcharge
Éditeur : Le Gospel
192 pages – 22 €
Date de parution : le 11 avril