[Live Review] Osees et Psychic Graveyard au Cabaret Sauvage (Paris) : c’est bon quand c’est long !

On dit souvent que Osees, c’est toujours bien sur scène, mais ça n’évolue pas beaucoup. Pourtant, cette fois, John Dwyer a contredit ce vieil adage avec un long set généreux qui devrait avoir convaincu les derniers sceptiques !

2025 05 15 Osees Cabaret Sauvage RG (5)
Osees au Cabaret Sauvage – Photo : Robert Gil

Le concert annuel (ou quasiment) de Osees à Paris est devenu, au fil du temps, une sorte de rituel, auquel nul amateur de musique bruyante et remuante ne saurait renoncer. Même si cela fait cette fois près d’un an et demi que John Dwyer nous a rendu visite, dans cette même salle du Cabaret Sauvage, tout le monde est là ce soir pour célébrer une tradition aussi établie et sans surprise que celle de Noël : on sait qu’on ressortira de là à demi sourd, le dos fatigué par les assauts incessants des slammers et du moshpit, mais ravis d’avoir reçu notre dose de garage psyché littéralement forcené, et avec une nouvelle ration de souvenirs à évoquer en guise de consolation chaque fois qu’un concert nous paraîtra insuffisamment radical.

2025 05 15 Psychic Graveyard Cabaret Sauvage RG (2)La soirée débute à 19h45 avec un drôle de combo US au nom prometteur, Psychic Graveyard : quatre « men in black » que Dwyer a amené dans ses bagages, ce qui est un gage de radicalité. Ils viennent de San Diego, et vous pouvez les accueillir chez vous pendant une semaine sans craindre qu’ils bouchent l’évacuation de la douche, vu leur look « chauve total ». Deux claviers minimalistes (l’un des claviéristes empoignant de temps en temps une guitare, quand même), un batteur et un chanteur (Eric Paul) à la voix étrangement plaintive, constituent un groupe extrémiste qui joue une musique que l’on qualifiera d’industrielle, faute de mieux. Le niveau sonore est redoutablement élevé, comme s’ils tentaient de surpasser Osees dans un registre musical pourtant tout autre : on est ici, en gros, du côté du Nine Inch Nails des débuts, si Nine Inch Nails avaient décidé d’être encore plus déstabilisants en privant leur public du moindre soupçon de « mélodie », de rythme – eh oui, de la musique électronique sur laquelle on ne peut pas danser, et à peine dodeliner de la tête -, et surtout d’émotion. On lit parfois dans les articles consacrés à Psychic Graveyard le terme de « joyless », et c’est exactement ça, il n’y a ici aucune joie, presqu’aucun sentiment humain dans cette agression totalement abstraite. C’est impressionnant, déstabilisant, mais aussi, finalement, ennuyant, tant on a l’impression d’un terrorisme gratuit, n’essayant jamais de faire varier l’intensité paroxystique de ses explosions sonores. Alors, pour passer le temps qui s’étire, entre des enregistrements peu compréhensibles de dialogues absurdes entre les morceaux, on a tendance à observer le comportement erratique de certains membres du groupe qui semblent sous l’effet de substances chimiques. Finalement, ça fait du bien quand ça s’arrête.

2025 05 15 Osees Cabaret Sauvage RG (4)20h30 : Comme à son habitude, c’est dans la foulée de l’installation du matériel et des derniers réglages du son que Osees débutent leur set. Sur la caisse d’où John Dwyer a extrait sa guitare, on peut lire un message qui dit, à peu près en ces termes : « Monsieur le douanier qui vérifiez les bagages, merci de bien refermer le couvercle de cette caisse après l’avoir inspecté, et de prendre soin de cette guitare : elle est MA VIE. »

John est égal à lui-même : même look négligé improbable, mêmes postures extrêmement photogéniques mais impeccablement décalées, même guitare (sa vie !), même bidouillage permanent des boutons, des câbles, des pédales pour tirer exactement ce qu’il cherche de son matériel, et surtout même virtuosité technique enthousiasmante sans être frimeuse. Peu de mots entre les morceaux, souvent enchaînés sans une seconde de répit, mais des mots qui comptent : « Pardonnez-nous pour notre pays ! », par exemple, c’est simple, clair et ça n’appelle rien d’autre, sinon de la sympathie de notre part pour ce rebelle obstiné et un peu bourru. Autour de lui, un groupe qui nous semble être le même qu’en août 2023 : les fameux deux batteurs devant, au ras de la scène, le bassiste à droite, et le jeune « claviériste » – au look mi-Bobby Gillespie, mi-Keanu Reeves ! – dans le fond, qui joue un rôle de plus en plus important. Bien sûr, ce sont les deux batteurs qui impressionnent car ils vont tenir ce soir deux heures et cinq minutes à taper comme des brutes frénétiques sur leurs fûts sans manifester de signes de faiblesse…

2025 05 15 Osees Cabaret Sauvage RG (2)

Oui, deux heures et cinq minutes ! Car Osees, on pourra dire après ce soir que c’est toujours pareil (sous-entendu toujours aussi bien !), avec de grands moments de folie sur les morceaux courts et intenses qui percutent bien la tête, et avec de longues expériences soniques qui nous emportent dans une sorte de transe psyché… mais qu’on perçoit quand même une évolution : Osees s’éloignent du garage punk / psyché des origines, ou plutôt l’enrichissent en explorant d’autres genres : de la synth pop, avec ces claviers bizarres en avant, du blues rock presque traditionnel, et même une expérimentation jazz pour la conclusion du set. Et, surtout, surtout, tout cela est en permanence MAGNIFIQUE.

2025 05 15 Osees Cabaret Sauvage RG (1)En l’absence – habituelle – de setlist, il n’est pas toujours facile à la fin de se souvenir de tous les moments forts du concert. Notons quand même le perché et mélodique The Dream, donnant lieu à de réjouissantes accélérations qui allument le feu dans la fosse, le martèlement heavy blues et chaloupé de Tidal Wave, le lyrisme mid tempo de Toe Cutter avec son chant en falsetto introduisant un refrain propice au pogo, l’accrocheur et roboratif Web… Mais le plus beau moment, aérien et planant, de la soirée, a peut-être bien été le superbe Sticky Hulk, un long morceau, rare sur scène, auquel nous avons heureusement eu droit ! Et le plus étonnant, par contre, a été quand John nous a démontré qu’il n’avait même pas besoin de guitare pour jouer de la musique, il lui suffisait de mettre le jack dans sa bouche et de le mâchouiller !

Et voilà, c’est fini. On est évidemment épuisés, les acouphènes s’invitent pour la nuit, mais l’atmosphère dans le Cabaret Sauvage qui se vide est à la liesse. On a pris des forces pour attendre 12 mois (pas plus, on espère) le retour de John Dwyer et ses Osees, nos héros qui, réellement, « make America great again! ».

Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.