Soirée bretonne au Trianon avec le retour, et, surtout, la résurrection de Christophe Miossec, revenu d’un cancer de la gorge et pour rappeler à quel point il est précieux à la chanson et au rock français.
Au menu, ce soir, résurrection ! Car ce soir aurait pu ne pas avoir lieu, Christophe Miossec ayant lutté durant deux ans contre un cancer de la gorge, qui s’était déclaré alors que la tournée de son dernier album Simplifier n’avait pas démarré. Plus original que la « pause Covid », voici la pause « cancer de la gorge », inventée par le chanteur brestois, qui a révolutionné la chanson française avec son compère Dominique A, selon une légende bien ancrée (et sans doute authentique pour l’essentiel). Une résurrection, et une absence tout d’abord, notable, constatée en arrivant au Trianon : celle du stand merchandising, nous rappelant que Chistophe Miossec fait partie de ces artistes, de plus en plus rares, qui « peuvent vivre sans ».
Avant que de retrouver celui qui est revenu d’entre les Bretons et les morts, c’est l’un de ses « compatriotes », Brieg Guerveno, que nous retrouvons sur scène en cours de première partie. Un Breton invite un autre Breton : pourquoi pas ?… mais pas une soirée bretonne pour autant – il n’y aura pas de drapeaux bretons dans la salle, remplacés parfois par des cris ou interpellations récurrentes de supporters « locaux » du chanteur expatriés à la capitale. Brieg Guerveno chante, justement, en breton, des chansons en apparence douces, seul avec ses guitares, sans effets, et sans gras, d’une belle voix ciselée, qui interpelle, que ce soit sur ses propres mélodies ou en reprenant le poème d’une agricultrice-poétesse des Côtes d’Armor (Angela Duval) « qui parle de sa mort prochaine et de la lumière de Dieu passant sous la porte ». Ainsi soit-il. Prolixe et habitué au public, Brieg Guerveno nous raconte encore deux ou trois histoires hantées, souligne avoir toujours été bien reçu par le public parisien, comme si cela n’allait pas de soi, avant de tirer sa révérence sous des applaudissements nourris d’un Trianon à présent bien rempli. L’homme sort ces jours-ci un nouvel album, Un Noz A vo, fait ses prochaines dates au Leclerc de Pontivy, mais aussi au Théâtre de Lorient, et on apprendra qu’il a un passé assez bruitiste voire metal. Sans doute un artiste à écouter à froid, post concert, décorum mystico-breton ou pas.
Passons au plat principal : « la résurrection », donc, après un bref changement de scène, qui voit Christophe Miossec, casquette au vent et prêt à enfourcher une guitare, débouler sur scène à 21h pile, accompagné de Nicolas Méheust, également casquette au vent et « de Saint-Malo », aux claviers, boucles et effets divers, à sa droite en regardant la scène, et de Stéphane Fromentin, sans casquette mais à la guitare électrique bien ancrée et habitée, et « de Rennes », à sa gauche. Un mode trio convenant parfaitement au concept du dernier album ; chez les lettrés, on dit que c’est « performatif ».
Et ce sera un plaisir, partagé, durant 1h45 de spectacle, dépassant l’horaire du couvre-feu officiel du Trianon, plus punk en cela qu’un certain Peter Doherty sur la même scène, s’arrêtant scrupuleusement à 22h30 pétantes quinze jours plus tôt. Bref, si l’adage ne s’applique pas en Normandie, en Bretagne, c’est punk un jour, punk toujours !
Sur cette tournée, la part belle est donc donnée à Simplifier, le dernier album avant la pause santé du chanteur, car c’est aussi de la résurrection de cet album dont il s’agit. Un album en effet « simple », souvent à l’os, sans apprêt, avec des chansons pas assez aimées, au total sur les 20 du concert, et qui bénéficient toutes grandement du traitement live : Je m’appelle Charles en hommage au patron de la salle Le Vauban à Brest, Mes disparus, avec un rythme quasi kautrock, A Montparnasse, même le single Mes voitures, et ses métaphores un peu lourdingues des compagnes passées, qui s’envole dans des montées bienvenues. La voix de Miossec, si souvent corrodée ou tenant mal la distance, est ici bien en avant grâce à cette formule trio qui la laisse exister et nous rend encore plus évidents, dans ces nouveaux textes les morts, les absents, les fantômes, la mélancolie et l’angoisse face à l’inéluctable.
Mais ce qui saute aux oreilles avant tout, c’est la vie, incarnée par le chanteur en revenant inespéré bien sûr, mais aussi présente dans cette volonté d’arranger de manière intelligente et surprenante, aussi bien le nouveau répertoire – des chansons qu’il est heureux de « défendre » dit-il -, que l’ancien. S’il ronchonne, amusé, quand le public lui demande de jouer des tubes de Boire ou de Baiser (« C’est une chanson de jeune, ça. C’est presque indécent ! », « On va pas jouer que des vieilleries, autant mourir tout de suite ! »), Miossec se plie en réalité bien volontiers à la relecture de morceaux choisis du passé : On vient à peine de commencer, en ouverture, sur un fond de tic-tac rappelant l’écoulement inéluctable du temps et la faucheuse qui se rapproche pour nous tous, voix pure et saisissante, La facture d’électricité, complétant un début de concert vraiment foudroyant. Car qui, mieux que lui, saurait dire le désarroi d’une certaine classe ouvrière ou des délaissés : « Je n’ai toujours pas payé la facture d’électricité / Qu’est ce qui a bien pu nous arriver / Nous ne sommes plus les mêmes depuis samedi dernier / Tu sais je l’avais pourtant rangée avec l’échographie du bébé / Ne me secoue surtout pas / Car je suis plein de larmes / J’ai perdu la force de prendre les armes / J’ai perdu la foi j’ai perdu mon âme / Qu’est-ce qui a bien pu se passer / Depuis que je me suis fait licencier. » Plus loin, ce sera Madame, simple et touchante, Désolé pour la poussière, de 1964, magnifique de tension, La mélancolie, un sommet pour clôturer le set d’une heure.
Et quand le sombre de la nuit est là, Miossec nous gratifie d’un rappel unique de sept chansons, d’où émergent les plus anciennes, Que devient ton poing quand tu tends les doigts, clappée par le public, Nous sommes, où sa voix défaillit légèrement sur ce texte bouleversant (« Nous sommes les rescapés »), Je m’en vais et l’inévitable Brest en conclusion. Un concert pro, beau, pas parfait (combien de fois tenta-t-il de s’accorder à la guitare ? « J’ai jamais su le faire correctement, et ça ne va pas s’arranger avec l’âge ! »), mais terriblement vivant. Quand les lumières vont se rallumer, Christophe Miossec, tel Johannes se levant à la fin d’Ordet, le chef d’œuvre de Dreyer, acte sa résurrection de manière hiératique, en restant, un peu raide, le regard droit, face au public pour accueillir, avec ses acolytes, longuement, le respect et l’amour de la salle. Disparus, fantômes et foudroyés de la vie ont eu beau hanter le Trianon ce soir, c’est bien l’amour et la vie qui ont triomphé. Et, ce n’est pas tous les soirs, l’on est repartis dans la nuit de la ligne 2, gonflés d’une résurrection en soi.
Texte et photos : Jérôme Barbarossa