[Live Review] Bonnie ‘Prince’ Billy et Mess Esque à la Cigale (Paris) : Will était en ville…

Le rare Will Oldham jouait dimanche soir à la Cigale, sous son pseudonyme de Bonnie ‘Prince’ Billy. Vous n’y étiez pas ? Eh bien, désolé, mais on aura du mal à vous raconter une soirée comme ça. Farfelue, bouleversante, gaie… authentique.

2025 05 18 Bonnie Prince Billy Cigale (34)
Bonnie Prince Billy à la Cigale – Photo : Eric Debarnot

Depuis combien de temps Will Oldham ne nous avait-il pas gratifié de sa présence à Paris ? On ne sait pas, on ne sait plus. Mais de toute manière, il ne pouvait pas être question de manquer son passage à la Cigale. Car les vrais originaux comme lui, surtout avec un talent aussi soufflant, ne courent pas les rues…

2025 05 18 Mess Esque Cigale (2)20 h : En première partie, on est gâtés, même si on ne le sait pas a priori : Mess Esque n’est pas un nom encore connu en France… Il s’agit du duo australien composé de la chanteuse Helen Franzmann, et d’une sorte de légende de la musique indie australienne, le guitariste Mick Turner, ex-Dirty Three, soit quand même le partenaire de Warren Ellis à l’époque. Le duo est accompagné ce soir d’un batteur, dont nous n’avons pas saisi le nom, mais qui fera également partie plus tard de la formation entourant Bonnie ‘Prince’ Billy. Bref, pour une ouverture de concert, c’est quand même du luxe. Leur musique est un drôle de mélange : il y a au départ une sorte d’atmosphère dream pop / indie rock post-Velvet, en particulier du fait de la voix plutôt intéressante de Franzmann, qui n’hésite pas à monter et aller chercher des sons et des notes à la limite de la fausseté parfois (une chose à laquelle nous sommes – paradoxalement – très sensibles, sans doute depuis que Moe Tucker nous a enseigné que chanter juste n’était pas une preuve de talent ni une garantie d’émotion). Très vite, néanmoins, la guitare expérimentale, limite bruitiste (même si le but n’est pas d’aller chercher des décibels) de Turner change la donne, et transforme le concert en quelque chose de singulier, d’intrigant. Seul bémol : quand on ne connaît pas les chansons, elles ne s’ouvrent pas facilement, peut-être faute de mélodies faciles… Mais en tout cas, voici un groupe intéressant, sur lequel il faudrait se pencher.

20h50 : C’est avec 10 minutes d’avance sur l’horaire prévu que Bonnie ‘Prince’ Billy ouvre les hostilités ce soir. Avec notre mauvais esprit, on pense qu’il a pour but de se coucher tôt… alors qu’on va découvrir que, au contraire, ayant été informé du couvre-feu de 22h30, il commence le plus tôt possible pour nous offrir un maximum de musique. Une bonne âme, ce Will Oldham !

2025 05 18 Bonnie Prince Billy Cigale (22)Une bonne âme… mais aussi un personnage des plus originaux, avec un look assez absurde : une moustache de vieux cowboy qui contraste avec sa carrure de pied tendre vêtu de jean, une casquette bien caricaturalement US pour dissimuler sa calvitie, mais portant la mention « Queen », et puis des autocollants scintillants, pailletés collés sur les joues ! (Bon, ses musiciens ont les mêmes…). Quant à son comportement sur scène, c’est tout un poème : grimaçant en permanente de manière outrancière, se livrant à des entrechats vaguement absurdes entre deux couplets, il a tout du ludion insaisissable, avec cette attitude qui contraste dramatiquement avec la musique qu’il va nous jouer pendant 1h40 de soir, et qui est quand même très souvent d’une grâce et d’une élégance absolues, avec un impact émotionnel très fort !

Ce concert à la Cigale – une salle idéale pour ce genre d’événement, oscillant entre l’intimisme et le festif, voire même le gentiment farfelu – du rare Bonnie ‘Prince’ Billy s’inscrit dans le cadre de sa tournée européenne pour la sortie de son album « nashvillien » The Purple Bird. Mais bien entendu, comme on parle de Will Oldham qui ne suit aucune règle, ni aucune logique, seulement trois titres de l’album seront joués sur les 19 de la soirée, et musicalement, on sera souvent très loin de l’ambiance country, puisque l’accompagnement principal du set sera… des cuivres ! Un saxophone principalement, qui mènera la danse toute la soirée, mais aussi des interventions – excellentes – du guitariste à la clarinette et à la trompette…

2025 05 18 Bonnie Prince Billy Cigale (36)

De toute manière, dès l’intro plutôt traditionnelle (a priori une reprise des Clark Sisters, un groupe de gospel), le spectateur averti doit faire le deuil de toutes ses attentes – et elles sont élevées, vu le pedigree de Will Oldham – et accepter de se laisser embarquer dans un périple aventureux, fantaisiste, parfois sans queue ni tête… Avec le bonheur de voir survenir au détour du chemin des merveilles comme quelques reprises de Palace (accueillies par des acclamations des connaisseurs – très excités pour le coup – dans la salle) et quelques merveilles, comme, évidemment I See A Darkness, toujours aussi sidérant, ou le délicat Lay and Love.

2025 05 18 Bonnie Prince Billy Cigale (45)Même si la Cigale est quasiment pleine, le public – visiblement composé en grande majorité de fans – reste parfaitement recueilli et silencieux quand la musique « l’impose ». Mais également rentre dans la fête quand le groupe sur scène la joue agité et festif : d’ailleurs, à partir de la moitié du set, Turner et Franzman se joignent aux autres musiciens, pour ne plus les quitter, permettant une formidable montée en puissance de la musique : sur certains titres, on a trois guitares qui mènent la danse, et ça se sent. D’ailleurs même des titres à l’origine intimistes comme Crazy Blue Bells (extrait de Keeping Secrets Will Destroy You) sur lequel Will encourage tout le monde à chanter les « Ding Dong » du refrain, deviennent un joyeux foutoir.

Will n’est pas non plus avare en plaisanteries, voire en provocations, comme lorsqu’il explique qu’il est heureux d’être à Paris pour boire du vin… grec ! Avant de se servir une grande rasade du dit vin… A noter que sur le sujet à la fois délicat et inévitable de la politique US actuelle, Will n’a pas fait de discours à la Springsteen – pas le genre de la maison – mais nous a envoyé un « J’imagine que vous êtes contents de ne pas être Américains en ce moment ? », avant de nous annoncer « Cette chanson est l’une des nombreuses raisons qui justifient de ne pas vouloir l’être », et de balancer la violentissime charge – dissimulée en chanson folklorique – contre les armes, Guns Are for Cowards. « Who would you shoot in the face? / Who would you shoot in the brain? / Who would you shoot in the back / And leave bleeding out in the rain? » (Sur qui tirerais-tu en pleine figure ? / Sur qui tirerais-tu en pleine tête ? / Sur qui tirerais-tu dans le dos / Avant de le laisser se vider de son sang sous la pluie ?)…

2025 05 18 Bonnie Prince Billy Cigale (47)

Bref, tout cela, vous l’avez compris, a été assez indescriptible : on a versé plusieurs fois des larmes tellement c’était bouleversant, et on a aussi beaucoup ri et dansé. On s’est même un peu ennuyé pendant un petit quart d’heure durant le ventre mou du concert. Mais on a surtout passé une soirée éblouissante avec une musique (et des musiciens) d’une authenticité, d’une honnêteté totale.

Texte et photos : Eric Debarnot

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.