[Live Review] The Jesus Lizard à l’Elysée Montmartre (Paris) : sur un volcan…

David Yow et sa bande sont venus réveiller les morts, et même les vivants, un samedi soir d’une semaine de mai sans pont. Le lézard est sacrément vivant, mais pour combien de temps ?

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The Jesus Lizard à l’Elysée Montmartre – Photo : Robert Gil

The Jesus Lizard est un groupe qui a toujours été difficile à situer, et, en réalité, à aimer. Trop noisy et hardcore pour les amateurs de rock indé « pur », trop indie pour les amateurs de noise, d’indus et de hardcore metal, le groupe de David Yow a toujours été sur une ligne de crête. Sur la brèche. On leur a même parfois collé des étiquettes dont on se demande si elles veulent dire quelque chose, du type « induscore ». Cela a mené, finalement, le lézard un peu nulle part, une première fois pour un premier split en 1999 , puis une deuxième fois après une première reformation, et plane le soupçon de vouloir remettre de l’argent dans les caisses pour un collectif réputé intègre à tous points de vue. Quoi qu’il en soit, cela fait de nous, ce soir au Trianon, un peu des voyeurs : jamais deux sans trois ? Le groupe a en tout cas un atout : Rack, un nouvel album, le premier depuis Blue en 1998, l’album qui amorcera le split historique. Un nouvel effort qui reprend la recette : guitare balançant des riffs acérés, section rythmique puissante, déroulant un tapis de flammes permanent pour la voix de David Yow qui n’attend que cela pour les recracher, encore plus violentes – mais en opérant un quasi contre-sens, avec une production gonflant un peu trop le son sec, à l’os, de The Jesus Lizard.

The Jesus Lizard Trianon Robert Gil 02Pour notre part, ce sera le premier (et dernier ?) concert de The Jesus Lizard, avec la volonté de rattraper le temps perdu. A peine le temps d’avoir levé les yeux, voilà David Yow à dix mètres de nous, déjà à l’horizontale en train de stage-diver, chemise au vent, sur une bedaine qui laisse deviner la transformation de l’homme. Il y a quinze ou trente ans, on disait qu’il avait un éternel air de « clochard » ; on est désormais plus inclusif, et la référence qui revient le plus est désormais celle de Charles Bukowski. David Yow est en tout cas un homme de son âge, à la tête de vautour maintenant barbu, qui croasse de manière inquiétante, dans un physique faussement débonnaire, et qui avale une 16 toutes les deux-trois chansons environ, et se reboutonne la chemise après deux morceaux. Un homme en sens inverse. Derrière, c’est plus sobre : sur scène, les impeccables et historiques Duane Denison (guitare) et David Sims (basse), tous de noirs vêtus, s’agitent avec une certaine élégance, Denison alternant comme il se doit entre riffs puissants et déconstructions inattendues. A la batterie, Mac McNeilly n’a pas peur d’être à la hauteur de son patronyme : redondant, lourd dans les frappes ulcérées. On n’aimerait décidément pas être les fûts ce soir.

The Jesus Lizard Trianon Robert Gil 03Dans la set-list, Rack se taille la part du lion, avec l’album Goat. Les « tubes » du groupe défilent, Seasick, Nub, Thumbscrews, Thumper, Mouth Breaker, Monkey Trick, le single réussi de Rack, Hide & Seek…. mais, à vrai dire, on ne sait plus très bien ce qui est joué dans ce râle infini, comme un jet de lave incandescente permanent depuis la scène, à peine entrecoupé par quelques messages de Yow (« Fuck Truuuump !!! » hurlé trois ou quatre fois en demandant à la salle de reprendre en chœur), et des remerciements en français, parfois en espagnol ou en français, mais dans tous les cas « so grateful ».

La salle est aux anges. Les quadra, quinta et sexagénaires revivent, entre amis, venus de Paris ou des quatre coins de la France, pour sans doute leur premier concert du groupe depuis La Villette Sonique lors de la première reformation. On est étonnés de voir des jeunes, un bon 10% de la salle à vue de nez – la même proportion à peu près de femmes. Tous sont en tout cas épatés par la démonstration du groupe – des sexagénaires qui font du noisy rock, quand même, pendant 1h25 lessivante, menée tambour battant, avec ses pics indéniables, ses creux jamais très longs, ses deux rappels à rallonge de huit chansons au total.

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Au sortir sur le Boulevard de Rochechouart, il est probable que les lignes n’auront pas trop bougé : fascinant, intègre, mais sans doute trop rêche et à fleur de peau pour les amateurs de rock indé (dont nous sommes), machine de guerre noisy mais pas assez char d’assaut pour les fans de hardcore, d’indus et de noise, le lézard ne réconciliera jamais les deux camps qui l’affectionnent et qui se sont croisés, ce soir comme tous les quinze ans environ, dans la nuit parisienne. Forever sur la brèche. Ou, plutôt sur un volcan…

Texte : Jérôme Barbarossa
Photos : Robert Gil

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