« Ledra Palace » de Constantia Sotiriou : un hôtel emblématique de l’histoire de Chypre

Ledra Palace, de Constantia Sotiriou, est une jolie petite surprise, un bijou finement travaillé, qui nous fait nous intéresser à l’histoire de Chypre, cette île mal connue.

© Yangos – éditions Héloïse d’Ormesson

Constantia Sotiriou est née en 1975, à Nicosie où elle vit toujours.
Ledra Palace est son premier roman, paru en anglais sous le titre Brandy Sour.
C’est le nom du cocktail que le barman de l’hôtel avait réalisé pour le roi Farouk d’Egypte : la boisson pouvait passer pour du thé glacé, et masquer ainsi les penchants alcoolisés du roi.

Comme moi, vous vous rappelez peut-être Monseigneur Makários, archevêque orthodoxe, président de l’île devenue indépendante après le départ des anglais (des colons qui laissèrent derrière eux, comme ailleurs, un sacré bazar). Malgré les efforts pour maintenir un équilibre précaire entre les communautés grecque et turque, l’archevêque fut renversé en 1974 par un coup d’état des colonels grecs. Coup de force qui déclencha en retour l’invasion turque et la partition de l’île.

Le Ledra Palace Hotel (en grec : Λήδρα Πάλας ou Lídra Pálas) est un ancien hôtel emblématique de Nicosie. Jusqu’en 1974, c’était le plus luxueux palace de l’île. Il abrita ensuite (jusqu’en 2005) le quartier général des Forces des Nations Unies chargées du maintien de la paix à Chypre. La ville de Nicosie est toute proche de la ligne de démarcation (la ligne verte ou ligne Attila) et le bâtiment est donc tout prêt du Ledra Checkpoint qui sera partiellement ouvert en 2003.

Ce très court roman (un peu plus d’une centaine de pages) est presque un recueil de poèmes. Des poèmes en prose : chaque court chapitre (3 ou 4 pages) est consacré à un personnage (un de ceux qui ont parcouru les couloirs ou les salles de l’hôtel) et à une boisson.
Côté personnages, Constantia va nous présenter l’architecte de l’hôtel, une femme de chambre, une actrice, un artiste, l’archevêque orthodoxe, un maquisard, un casque bleu ou un chanteur célèbre.
Et côté boissons, elle va nous servir un thé à la lavande, une eau de rose, un simple café turc ou une bière fraîche, un cognac, ou même de l’eau bénite, jusqu’à ce fameux cocktail, le brandy sour du roi Farouk.
« […] Le cocktail, raconte-t-on, est inventé par un barman pour le roi Farouk d’Égypte à la fin des années 1940, une époque sombre où celui-ci, rattrapé par l’âge et les soucis, est déjà un homme vieilli, ventripotent, torturé par les migraines politiques, sur les plans intérieur comme extérieur, et soucieux de dissimuler son penchant pour l’alcool.
[…] Il y verse du brandy pour aider le roi à oublier, de la citronnade pour l’adoucir, mais aussi du jus de citrons acides, pour rappeler au roi ses tourments, et puis une pointe d’Angostura, pour l’amertume. Il sert tout cela dans un grand verre, un verre à soda, que tous y voient un thé glacé. « Et voilà! ».

Un chapitre, un personnage relié à l’hôtel d’une manière ou une autre, une boisson et un refrain. Une petite phrase, un leitmotiv qui vient scander la prose très musicale de Constantia Sotiriou.
Au fil des chapitres, autour du Ledra Palace, le lecteur va faire la connaissance d’humbles paysans, de simples femmes de chambre mais aussi de quelques célébrités, comme le roi Farouk ou Youri Gagarine, de retour sur terre après son voyage dans les étoiles.
Gagarine boit du vin, l’un des plus vieux vins du monde : le Commandaria.
« […] Il aimait, la nuit, s’asseoir seul dans un coin et siroter un vin antique. Le Commandaria. Le plus vieux vin du monde. Gagarine ne buvait pas de cocktails. »

Quant au maître d’hôtel, une fois le Ledra Palace désaffecté (pour devenir le quartier général de l’ONU et le lieu de rencontre des parties opposées), le maître d’hôtel lui, boira un café amer.
« […] Désormais, il boit un second café l’après-midi, noir, sans sucre, comme il est d’usage dans les périodes de deuil, après les enterrements, les catastrophes et les disparitions. Ce genre de café. Avec beaucoup de mousse, et sans sucre. Il faut le boire amer, le café, pour sentir les choses passer. »

Les différents chapitres réussissent à nous faire sentir les choses passer, à nous évoquer tous les charmes de cette île méditerranéenne, toute sa poésie lumineuse et chaleureuse.
Mais d’autres passages sont forcément plus amers, comme le café : la pays se retrouve coupé en deux, l’hôtel au milieu, au bord de la ligne de démarcation. Il n’est plus que le vestige d’un passé fastueux.

À la fin de ce petit bouquin, quelques pages judicieuses sont là pour nous rappeler la chronologie des événements et nous situer les principales personnalités qui apparaissent dans chacun des chapitres.

Bruno Ménétrier

Ledra Palace
Roman de Constantia Sotiriou
Traduction du grec (Chypre) par Nicolas Pallier
Editeur : Heloïse d’Ormesson
120 pages – 20 €
Date de parution : 15 mai 2025

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