« Retour à Lake Grove » : quand les fantômes de l’Histoire sont ceux d’une maison hantée

Une maison victorienne qui abrite des siècles de secrets. Une femme prête à tout pour réparer le passé. Et c’est tout un pan de l’histoire des États-Unis qui se révèle alors que beaucoup préféreraient l’ignorer. L’autrice de best-sellers américaine J.Courtney Sullivan a composé un roman à la grande finesse psychologique, riche de perspectives multiples.

Courtney Sullivan
© Michael Lionstar

Jane a 39 ans. La jeune fille boursière, élevée par une mère célibataire alcoolique, est parvenue à faire de brillantes études. Elle est désormais archiviste à la bibliothèque Schlesinger de Harvard dédiée à l’histoire des femmes américaines. Elle arrive à un tournant, sa vie professionnelle et amoureuse s’est effondrée alors qu’elle revient dans sa ville natale du Maine, Awadapquit, pour gérer la vente de sa maison d’enfance, sa mère venant de décéder. Elle accepte la mission d’enquêter sur l’histoire d’une autre maison, celle qu’un riche couple vient de restaurer, inquiet que leur jeune fils parle avec le fantôme d’une jeune fille. Et cette autre maison, Jane la connaît.

retour Lake GroveLa première fois que Jane a vu cette demeure victorienne, elle a dix-sept ans et anime une croisière touristique au coucher de soleil sur un homardier. La bâtisse est perchée sur une imposante falaise surplombant l’eau, déserte, délabrée et sinistre, mais dotée de tourelles colorées et d’un mystère persistant ; elle devient son refuge, un lieu de prédilection pour échapper aux tracas de la vie.

« La maison, abandonnée depuis longtemps, avait des histoires à raconter ».

Jane va donc chercher à percer l’énigme de cette maison en enquêtant sur ses habitants successifs depuis sa construction en 1846, pistant les indices les uns après les autres.

Malgré quelques longueurs et quelques coïncidences de trop, J.Courtney Sullivan fait montre d’une réelle dextérité narrative à remonter le temps, à relier le passé au présent avec fluidité, au point que le lecteur n’a pas l’impression d’alterner les époques mais au contraire d’entrer dans des dimensions parallèles au récit présent. Il faut ainsi accepter de se laisser porter par une récit à la fois dense et sinueux, rempli de digressions et ramifications, souvent inattendues jusqu’à des séances de spiritisme.

De façon générale, c’est très beau comment l’autrice aborde l’Histoire comme faisant partie du présent, quitte à se colleter avec ses parties les plus laides ou les plus méconnues voire occultées. C’est ainsi toute l’histoire du Maine qui refait surface autour du centre gravitationnel de la maison hantée : celle du peuple autochtone des Abénaquis spolié et violenté par les colons ou des Shakers (membres d’une branche du protestantisme issu des Quakers) par exemple.

« Certaines personnes souhaitaient que l’histoire soit honorée, préservée. Et d’autres, bien plus nombreuses lui semblait-il, ne voyaient pas l’intérêt d’une telle démarche. L’histoire ne pouvait avoir de sens que si les vivants souhaitaient qu’elle en ait un. »

J.Courtney Sullivan excelle à changer d’échelles et de perspectives, mais sans jamais perdre de vue son personnage principal dont elle dresse un magnifique portrait de femme en quête d’apaisement, sur lequel elle porte un regard sororal. Jane est un personnage multidimensionnel, profondément incarné et que l’on suit malgré ses défauts et ses erreurs.

Les secrets de la maison et ses fantômes sont aussi ceux de l’Histoire. A mesure qu’ils sont exhumés, ceux de Jane le sont également. C’est avec intelligence et finesse psychologique que se pose une réflexion sur l’Histoire et l’héritage, sur notre capacité à nous en libérer ou en réparer les torts. Malgré le sentiment de perte qui flotte durant tout le récit, on referme ce roman sensible avec le sentiment qu’il est possible de regarder autrement le passé, d’apprendre de lui pour avancer vers plus de lumière.

Marie-Laure Kirzy

Retour à Lake Grove
Romande J.Courtney Sullivan
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Caroline Bouet
Editeur : Les Escales
463 pages – 23 euros
Date de parution: 7 mai 2025

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