Avec son deuxième roman, un thriller au titre balzacien, Fabrice Jambois s’impose comme un auteur avec lequel il va falloir compter. Quelque part entre Les Racines du mal de Dantec et les premiers DOA, La Fille aux yeux d’or est une indéniable réussite.

Ils sont quatre : quatre personnages qui n’auraient jamais dû se croiser, mais dont les destins vont s’entrechoquer dans cette Fille aux yeux d’or, thriller à la mécanique précise et diabolique. Il y a d’abord Margot, une jeune femme qui croupit dans la cave de son ravisseur. S’il l’a enlevée trois ans plus tôt, son ravisseur ne l’a jamais touchée. Il lui impose plutôt la lecture des œuvres complètes de Balzac. Enfermée, épiée, Margot attend patiemment que son geôlier commette une erreur… Val, lui, est un artisan dont le savoir-faire est unanimement reconnu. Mais Val est aussi un mari et le père d’un adolescent de 17 ans avec lequel il a de plus en plus de mal à communiquer. Et comme il sent cette famille s’éloigner peu à peu de lui, il passe beaucoup de temps dans son atelier… Zed, quant à lui, a rejoint un groupe de militants écologistes radicalisés et décidés à commettre une action spectaculaire afin de démontrer l’urgence climatique et d’ouvrir les yeux de ceux qui refusent de voir la réalité en face… Enfin, il y a Alban : journaliste au Parisien, il enquête sur plusieurs meurtres de jeunes femmes – des meurtres sauvages mais qui ne semblent pas intéresser grand monde. Alban, lui, est convaincu qu’un tueur en série rôde autour de la capitale…
Le thriller, on le sait, est un genre ultra-codifié et qui peut facilement tomber dans un certain nombre de facilités : intrigue prévisible, personnages stéréotypés, violence complaisante… Dès les premières pages de La Fille aux yeux d’or, on devine que Fabrice Jambois évitera tous ces écueils. Parfaitement rythmé, le roman est constitué de très courts chapitres, qui parviennent pourtant à développer les portraits fouillés et souvent ambivalents des protagonistes de cette histoire. Dans le même temps, l’intrigue est menée tambour battant et l’amateur du genre peut se rassurer : il trouvera ici son lot de scènes spectaculaires ou sordides, jamais gratuites pour autant. Les péripéties s’enchaînent donc grâce à l’indéniable savoir-faire de l’écrivain et l’on comprend assez vite que La Fille aux yeux d’or fait partie de ces romans que l’on aura bien du mal à lâcher. Sans avoir recours à de trop faciles cliffhangers, Jambois parvient tout de même à conclure ses chapitres de telle sorte que l’on a invariablement envie d’en lire au moins un autre…
Bref, La Fille aux yeux d’or est une formidable mécanique narrative, une machine à lire sans temps morts ni faiblesses. Mais l’on aurait tort de réduire le roman de Fabrice Jambois à sa seule efficacité romanesque. Si celle-ci est réelle, il convient aussi de préciser les autres qualités du livre. Au cœur du récit, il y a évidemment les violences faites aux femmes à travers la description d’un groupe d’hommes qui les considèrent comme une simple marchandise à exploiter. Face à eux, le personnage de Margot s’impose peu à peu comme une femme meurtrie mais qui saura tirer de ses blessures les ressources nécessaires pour affronter ces monstres.
La Fille aux yeux d’or, comme certains romans de Dantec (La Sirène rouge, Les Racines du mal), ou comme les premiers DOA, ose ainsi évoquer la question du Mal, sans détours et avec une finesse qui s’explique peut-être par la spécialité de Fabrice Jambois, la philosophie. On sent que tout a été mûrement pensé et réfléchi et Jambois use des codes du thriller pour questionner implicitement les racines de la violence mise en scène ici : d’où vient-elle ? Comment croît-elle ? Comment y faire face et l’affronter sans se laisser contaminer par elle ?
On pourra peut-être reprocher au roman une fin un peu précipitée ; mais ce petit défaut n’altère en rien le plaisir de lecture offert par Fabrice Jambois, dont on avait déjà beaucoup aimé le premier roman, Mycélium, paru dans la regrettée collection Equinox des Arènes. Désormais publié à La Manufacture de Livres, Fabrice Jambois rejoint le cercle (assez) fermé des auteurs dont va attendre avec impatience le prochain roman.
Grégory Seyer