Une traque pleine de dangers dans le froid et la neige d’une forêt primaire en plein hiver, quand le blizzard souffle une légende indienne qui a tout de la fable philosophique.

Écrivain-voyageur, Pierre-Yves Touzot est né au Québec (à Sherbrooke en 1967) et vit désormais en France. C’est un touche-à-tout : il est également scénariste-réalisateur et a fait le tour du monde en solo.
Oldforest est de ces récits qui nous transportent loin, vers les étendues septentrionales, dans un monde de givre et de neige.
Un écrivain peu connu pour un roman surprenant qui se révèle être une agréable découverte.
Le bouquin est annoncé comme le début d’une trilogie mais il peut se lire seul.
Nous voici au pied des Rocheuses, côté ouest en Colombie-Britannique, non loin de la Fraser River, à l’orée de l’une de ces « forêts primaires » qui deviennent de plus en plus rares sur notre planète : ces « forêts originelles, ces lieux privilégiés où la nature évolue à sa manière depuis la nuit des temps sans être souillée par l’intervention de l’homme ».
Anton revient à Hell Town dix ans après, sur les lieux du drame de sa vie : un accident de voiture où Déborah, sa chérie perdit la vie. Un voyage-souvenir aux allures de pèlerinage : « dix années d’échec. Anton espérait que ce retour sur les lieux du drame l’aiderait à faire définitivement le deuil, mais maintenant qu’il est sur place, il n’est plus très sûr que ce voyage aura le moindre effet bénéfique. »
Mais on est en plein hiver, la saison touristique est déjà loin, Hell Town est couverte de neige et tout y est fermé : la ville et ses rares habitants ne sont guère accueillants.
C’est « une tradition très forte à Hell Town : ne rien faire qui puisse inciter les étrangers à rester en ville lorsque le parc est fermé. La tranquillité de leur petite communauté isolée est à ce prix ».
Une petite ville où l’on « considère ces gens de passage comme des touristes en été et comme des étrangers en hiver ».
À bon entendeur …
Et voilà que, noyé dans son chagrin et la neige, il aperçoit furtivement le visage de Déborah dans une rue de la ville ! Hallucination ? Apparition ? Illusion ?
« […] Il repense à la jeune femme qu’il a vue entrer dans le restaurant, toujours aussi troublé par sa ressemblance avec Déborah. Pourtant, il s’agissait d’une autre femme. Dix ans plus tôt, la voiture avait brûlé. Déborah avait trouvé la mort, ce soir-là. »
La mise en place est un peu longue, laborieuse, capillotractée (pas facile de nous faire croire à ce fantôme) et l’on se demande bien qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
D’autant plus que Anton rencontre une autre jeune femme au prénom prédestiné : c’est Alaska qui se propose de le guider dans la forêt pour retrouver Déborah.
« […] — Alaska Stockton, dit-elle en lui tendant la main.
— Anton Reed. Enchanté.
— Elle est morte, et vous l’avez revue ? C’est impossible !
— Je suis bien d’accord avec vous, mais je l’ai vue. Enfin, j’ai vu une femme qui lui ressemblait. »
Une rencontre qui tombe à pic puisque Anton est, comme par hasard, « un ancien membre des forces spéciales de l’armée anglaise spécialisé dans les opérations en milieu naturel hostile » !
Non mais franchement ? On se croirait dans un mauvais Harlan Coben !
Mais …
Mais voilà ! En pleine tempête de neige, Anton et Alaska s’aventurent dans les bois, Touzot maîtrisant l’art de captiver son lecteur, l’entraînant sur leurs traces, alors qu’ils sont traqués par les sombres et énigmatiques résidents de Hell Town.
En fin de compte, on se fiche un peu de l’intrigue tarabiscotée, passionnés que nous sommes par cette rando en milieu hostile, on s’y croirait et l’auteur sait s’y prendre pour nous faire partager la course, la neige, la traque, le froid, …
Dès que le lecteur s’aventure sur ce sentier dangereux, happé par la traque au cœur d’une forêt pétrifiée par le froid, il devient une proie facile pour Pierre-Yves Touzot qui peut tranquillement dérouler son récit.
Quelque chose entre un conte mystérieux, une légende indienne et une fable philosophique, quand un loup ou un élan vous indique le chemin à suivre …
Un auteur plus malin qu’on ne le pensait : son intrigue n’est guère crédible mais suffisamment intéressante pour exciter notre curiosité. Il ne nous demande pas de le croire mais seulement d’être suffisamment curieux pour le suivre. Ce qui nous va très bien.
Finalement, la « Forêt Interdite d’Oldforest » va livrer une partie de ses secrets.
« […] — Comment avez-vous commencé à comprendre qu’il se passait des phénomènes étranges à Hell Town ? demande-t-il pour l’aider à chasser ses pensées sombres.
— Les enfants, répond Alaska sans réfléchir.
— Les enfants ?
« […] — Je crois qu’il y a quelque chose d’autre derrière tout ça.
— Quoi ?
— Je l’ignore encore. Mais tout est lié. Et l’explication est dans cette forêt.
— Pourquoi ?
— Les habitants de Hell Town ont tous une connexion très forte avec cette forêt. Ils en parlent toujours avec déférence, comme si elle était le centre de leur existence.
— Comme les Indiens ?
— Comme les Indiens. Je n’y avais jamais pensé en ces termes, mais c’est exactement ça. Comme les Indiens. »
Et la forêt va effectivement finir par dévoiler (une partie de) ses secrets :
« […] — Tout ceci est nouveau pour vous, mais maintenant que vous connaissez notre secret, vous devez vous demander ce qui se passerait si le monde le découvrait ? »
Bruno Ménétrier