Matt Berninger – Get Sunk : un album à la fois ensoleillé et cotonneux

Entre deux albums de The National, Matt Berninger a enregistré Get Sunk, un second effort solo sans grande surprise mais qui ravira malgré tout et surtout dans sa deuxième partie.

Matt Berninger 2025
credit Chantal Anderson.j

Deuxième effort solo de Matt Berninger, Get Sunk, arrive après l’acclamé One More Second (2020), qui avait permis de voir le leader de The National par un prisme légèrement différent. Pas surprenant pour deux sous certes, mais différent, et dangereusement addictif sur une volet de chansons de haute tenue, filets de mélancolie folk-pop élégantes et travaillées par la voix cotonneuse, nicotinée mais restant soyeuse, du chanteur.

The-National-Matt-Berninger-Get-SunkDepuis, The National a remis le couvert ces dernières années, multipliant les albums irréprochables et le groupe tournant beaucoup – avec une date mémorable au Zénith il y a un an. Si bien que, quand se présente cette nouvelle galette, on se demande déjà, tout simplement, où Matt Berninger a trouvé le temps pour composer de nouvelles chansons solo. Apparemment, les chansons ont été composées sur les dernières années, Berninger réenregistrant les voix et réécrivant les paroles de chansons plus anciennes lors de sessions de travail avec le producteur et ingénieur du son Sean O’Brien, bientôt épaulé par des musiciens amis, dont Kyle Resnick (The National), Booker T Jones, Garret Lang, Sterling Laws, Mike Brewer, Walter Martin et Paul Maroon des Walkmen, Harrison Whitford, ainsi que Meg Duffy (Hand Habits), Julia Laws (Ronboy) apportant leurs voix féminines, essentielles à certaines compositions. On apprend dans le dossier de presse des choses mignonnes, comme le fait que l’artiste avait été inspiré par la faune et la flore de son nouveau lieu de résidence, dans le Connecticut, après dix ans à LA, et par ses étés dans la ferme et de son oncle et de sa tante, avec ses cinq cousins dans l’Indiana, récoltant des sapins de Noël et du tabac. Et que, plus profondément, Get Sunk trouvait son origine dans une période d’inspiration et d’auto-dénigrement – il est nécessaire de toucher le fond, si ce n’est se noyer, pour rebondir et remonter à la surface. Neuf et avec des souvenirs frais.

Voilà pour le décorum, à la fois ensoleillé et cotonneux, doux et dépressif, de cette collection de chansons qui ne déconcertera pas l’auditeur, si ce n’est peut-être pour son début : Get Sunk commence curieusement par ses deux chansons les plus faibles, Inland Ocean et No Love, introspectives, douces et sans aspérités ni mélodies auxquelles se raccrocher, à part de discrets chœurs féminins. A vrai dire, les choses sérieuses commencent au 3ème morceau, Bonnet of Pins, justement choisi comme 1er single tiré de l’album, très belle chanson, très bien arrangée, comportant chœurs féminins, trompette et lyrisme léger sur une rythmique rock assez rapide et solide, composant une forme de classic rock évident – on est ici, finalement, proche de The National, voire de groupes proches comme The War on Drugs. Seule chanson un peu rapide de l’album en réalité – et son premier sommet.

La 4ème chanson, Frozen Oranges, est un mid-tempo à cordes et trompette discrète, invoquant les souvenirs d’été dans l’Indiana, qui propose le premier refrain net et que l’on a peut chanter de l’album : « There’s frozen oranges in the trees in Indiana, in Indiana / And crystal appels in the creeks in Indiana, in Indiana » ( » Il y a des oranges gelées dans les arbres de l’Indiana, dans l’Indiana / Et des pommes de cristal dans les criques dans l’Indiana, dans l’Indiana « ), souligné, encore, par une trompette de plus en plus présente et appuyant une mélodie complexe. La face A se conclut avec Breaking Into Acting, une ballade piano – guitare à deux voix dont celle de la chanteuse folk Hand Habits, et où leurs deux voix s’entrelacent parfaitement. Sobre et beau.

La deuxième face restera du niveau des dernières chansons de la première face, avec un niveau de qualité constant, parfois addictif. Nowhere Special portée par le rythme mid tempo de la batterie s’élève doucement, portée finalement par la voix du chanteur, qui tend vers le spoken word sur fond, à nouveau, de chœurs féminins : « I’ve got nowhere to be / I’ve got nowhere to be, nowhere to be, nowhere special » ( » Je n’ai nulle part où aller / Je n’ai nulle part où aller, nulle part où aller, nulle part où aller « ). Deuxième sommet évident de l’album. La suite est grandiose. D’abord avec Little by Little, ballade portée par des ingrédients proches, avec piano structurant ici et refrain « prêt à chanter », sur un texte crypté, plein de fantômes et pourtant universel : « Our mothers and fathers, I guess we’ve forgotten them / Give them a bottle / I can’t tell what they’re saying, always pacing, always praying / How long will they stay? (Nos mères et nos pères, je suppose que nous les avons oubliés / Donnez-leur une bouteille / Je ne peux pas dire ce qu’ils disent, toujours en train de faire les cent pas, toujours en train de prier / Combien de temps resteront-ils ?). Puis avec Junk, courte (2’54’’) et efficace chanson d’auto-dénigrement et d’amour (« Without you baby, I’m only junk / I’m only love, I’m only junk » – faut-il traduire ?), Silver Jeep, troisième sommet de l’album, introduite à la trompette, aux arrangements complexes, où Berninger chante rejoint par une autre voix féminine, celle de Ronboy, qui donne un relief doux, en contrepoint à tout ce qui pourrait être lourd ailleurs, et qui est ici évident, clair et soyeux. Du miel. Il est temps de conclure, avec Times Of Difficulty, mid-tempo dépressif, à la mélodie un peu plus anecdotique, malgré l’emballement par les claviers en son milieu et les chœurs féminins, encore, à la fin.

Au final, Berninger reste fidèle à sa réputation : celle d’un artiste, et d’un homme, intègre, très bon compositeur et chanteur, capable de trousser régulièrement des chansons qui font réfléchir mais aussi chantonner, s’impriment dans la mémoire, pleines de romantisme dark et de mélancolie mélodique. Si ce deuxième effort ne surprend pas, il ravira notamment pour la qualité de sa face B, et sa montée en qualité progressive, devenue finalement si rare dans la musique d’aujourd’hui. Get Sunk se déguste comme une bonne bouteille de vin. Il n’est pas interdit de s’y immerger complètement afin d’en percevoir tous les capiteux parfums. Puis d’en revenir.

Jérôme Barbarossa

Matt Berninger – Get Sunk
Label : Concord Records
Date de Sortie : 30 mai 2025

Matt Berninger sera en concert le 2 septembre 2025, à Paris (Elysée-Montmartre).

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