Tiens, écoute ça ! : « Never Turn Your Back On Mother Earth » de Sparks

Aujourd’hui, Tiens écoute ça ! vous présente l’une des plus belles chansons jamais écrites et interprétées par les Frères Mael, Never Turn Your Back On Mother Earth. Qui pourrait être une chanson écologique avant l’heure, ou, à leur manière habituelle, quelque chose de complètement différent.

Sparks Propaganda 1974

On est en 1974, dans le fin fond de la Bourgogne. Inutile d’espérer voir des concerts, des vrais, des groupes et des artistes de Rock que j’écoute et que je vénère. Comme je rêve de Bowie, de Iggy & The Stooges, de Lou Reed et de Sparks, les chances que je les voie un jour sur scène me paraissent infimes (heureusement, une paire d’années plus tard seulement, je les aurai tous vus en live… à part Sparks justement). Le samedi soir, c’est soirée au bal populaire, où l’on cherche à se faire remarquer des plus jolies filles et à éviter de se laisser entraîner dans les bagarres qui se finissent rituellement un tesson de bouteille à la main. Et ce samedi soir là, un groupe – un groupe de bal, donc – monte sur scène, qui joue un peu de tout, et pas trop mal en plus (j’ai oublié leur nom, après un demi-siècle). Et d’un coup, les voilà qui entament Never Turn Your Back On Mother Earth, voilà qu’ils la jouent, sans même la massacrer : cette chanson est ma préférée de cette année-là, et restera l’une de mes favorites au sein de l’opulente discographie de Sparks. L’émotion qui me saisit alors reste l’un de mes plus grands moments de « transe » devant de la musique « live ». Oui, à égalité (ou presque) avec ce que je pourrai ressentir au cours des décennies suivantes devant les Talking Heads, Peter Gabriel, The Gun Club, Cohen et quelques autres noms célèbres. Quelque part, ce samedi soir là, est née ma passion pour la musique, live surtout, qui ne s’est pas atténuée après avoir vu plus d’un millier de concerts. C’est ridicule, indéniablement, mais la vie n’est-elle pas totalement ridicule, de toute manière ?

Never Turn Your Back on Mother Earth singleNever Turn Your Back on Mother Earth est l’un des singles extraits de l’album Propaganda, le quatrième album studio de Sparks, qui venaient de connaître un succès conséquent avec Kimono My House, porté par la locomotive This Town Ain’t Big Enough for Both of Us. On retrouvait sur Propaganda la même excentricité, les mêmes mélodies accrocheuses, les mêmes textes drôles mais énigmatiques, et le même chant absurde de Russell Mael. Si Never Turn Your Back on Mother Earth m’a particulièrement marqué, c’est que, en moins de trois minutes, elle balaie un registre émotionnel intense et singulier, grâce à (ou en dépit de) sa production riche et soignée, frôlant la perfection.

Ron Mael a composé là l’une de ses chansons les plus minimalistes mais poignantes, dans une atmosphère solennelle caractéristique de nombre de ses compositions. avec un clavecin surprenant et un arrangement orchestral de bon goût. Le son est clair, presque austère, tranchant avec l’exubérance habituelle des singles à succès de Sparks (même si un formidable solo de guitare fait monter le niveau de lyrisme de la chanson).

Le titre de la chanson semble évoquer a priori un message écologique, un avertissement à l’humanité qui méprise la planète : « Ne tourne jamais le dos à notre mère la Terre ». Pourtant, à l’époque, l’écologie n’existe quasiment pas, au moins de manière visible et encore moins politique. Mais n’oublions jamais que c’est la plume de Ron Mael qui est à l’œuvre : en y réfléchissant bien, le sujet de la chanson est peut-être bien plus ambigu, plus sombre que ça. « When she’s on her best behavior / Don’t be tempted by her favors / Never turn your back on Mother Earth. » (Quand elle se comporte le mieux / Ne sois pas tenté par ses faveurs / Ne tourne jamais le dos à notre mère la Terre) : la Terre n’est-elle pas plutôt une amante capricieuse, une force incontrôlable, aussi séduisante que dangereuse… dont il faut se méfier ? Comme dans l’imaginaire romantique sombre, la nature n’est pas que bienfaitrice, elle est imprévisible, voire vengeresse. Et puis, en poussant le bouchon juste un peu plus loin, la chanson parle-t-elle même d’écologie, ou n’est-elle pas un avertissement plus large sur la trahison, la perte de confiance, l’irréversibilité des erreurs humaines, dans nos relations personnelles et amoureuses ? N’oublions pas que, sur la pochette de Propaganda, les Frères Mael sont montrés kidnappés, ligotés et bâillonnés, promis à un sort incertain… peut-être livrés aux hommes de main de la terrible Mother Earth, bien décidée à se venger de leur infidélité ?

50 ans plus tard, Never Turn Your Back on Mother Earth peut être saluée comme l’une des réussites les plus émouvantes de Sparks. Elle a été reprise par Depeche Mode, dans une version épurée, et par Neko Case, mais elle reste relativement intouchable, tant son « génie » est à la fois délétère et indécidable.

Eric Debarnot

Sparks – Never Turn Your Back On Mother Earth : les paroles :

When she’s on her best behaviour
Don’t be tempted by her favours
Never turn your back, on Mother Earth
Towns are hurled from A to B
By hands that looked so smooth, to me
Never turn your back, on Mother Earth
Grasp at straws that don’t want grasping
Gaze at clouds that come down crashing
Never turn your back on Mother Earth

(Quand elle se comporte le mieux / Ne te laisse pas tenter par ses faveurs / Ne tourne jamais le dos à la Terre Mère. / Les villes sont balayées de A à B / Par des mains qui me semblaient si douces / Ne tourne jamais le dos à la Terre Mère / S’agripper à des fétus de paille qui ne veulent pas être saisis / Regarder les nuages ​​qui s’abattent / Ne tourne jamais le dos à notre mère la Terre)

Three days and two nights away from my friends
Amen to anything that brings a quick return
To my friends
To my friends
Never turn your back, on Mother Earth

(Trois jours et deux nuits loin de mes amis / Amen à tout ce qui me garantit un retour rapide / À mes amis / À mes amis / Ne tourne jamais le dos à notre mère la Terre)

Well, I’ll admit I was unfaithful
But from now I’ll be more faithful
Never turn your back on Mother (Don’t turn your back)
Never turn your back on Mother (Don’t turn your back)
Never turn your back on Mother Earth (Don’t turn your back)

(Eh bien, j’admets avoir été infidèle / Mais à partir de maintenant, je serai plus fidèle / Ne tourne jamais le dos à notre Mère (Ne tourne pas le dos) / … / Ne tourne jamais le dos à notre mère la Terre (Ne tourne pas le dos))

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