« L’heure des prédateurs », de Giuliano da Empoli : chez les Borgia 2.0

Après Les Ingénieurs du chaos (2019) qui dévoilait les coulisses du mouvement populiste global, après l’énorme succès du Mage du Kremlin (2022), roman sur la prise de pouvoir de Poutine, Giuliano da Empoli revient avec un essai aussi court que percutant. Fin observateur de notre époque, il s’intéresse une nouvelle fois aux acteurs du désordre mondial : ici les seigneurs de la Tech et leur affidés politiques trumpistes ouvrant d’une ère de violence sans limites.

Giuliano Da Empoli 2025
© Francesca Mantovani

L’Heure des prédateurs s’ouvre sur l’évocation du débarquement d’Hernán Cortés  au XVIème siècle dans l’empire aztèque de Moctezuma dont l’hésitation face à ces visiteurs inattendus a conduit son empire à être balayé. Selon Giuliano da Empoli, les Aztèques d’aujourd’hui sont les responsables des démocraties occidentales qui se sont soumis docilement aux conquistadors de la tech.

lheure des predateursL’heure des prédateurs a sonné. Pour raconter ce basculement dans le chaos, Giuliano da Empoli a opté pour un récit composé de plusieurs scènettes révélatrices situées entre 1998 à 2024. Il se dit écrire du point de vue d’un « scribe aztèque » mais sans pousser le procédé jusqu’au bout comme un Montesquieu dans Les Lettres persanes. Il ne se cache pas derrière un masque et relate ce qu’il a observé, lui l’ancien conseiller politique du premier ministre italien Matteo Renzi, puis fondateur du think tank Volta.

Ici, pas de scoop retentissant ni de prémonition folle, les lecteurs suivant l’actualité géopolitique n’apprendront factuellement rien de neuf. Par contre, ils y trouveront une lecture éclairée et très lisible. Giuliano da Empoli a choisi les anecdotes les plus parlantes pour faire comprendre le sens de l’Histoire. Toute son analyse politique repose sur ces anecdotes racontées d’une plume sobre et élégante, alliant sens de la punchline affutée et humour flegmatique.

Parmi les chapitres les plus réussis, celui consacré à Mohammed Ben Salman le prince héritier d’Arabie Saoudite et son guet-apens au Ritz-Carlton où il a retenu prisonniers de novembre 2017 à janvier 2018, deux cents hommes d’affaires, princes et anciens ministres saoudiens, pour les mettre au pas lors d’interrogatoires musclés. Un autre décrit de façon grinçante le diner inaugural de la fondation Obama à sa sortie de la Maison-Blanche en 2017 : l’auteur conclut en disant que n’importe qui serait devenu trumpiste en sortant de ce diner tellement les libéraux-démocrates étaient à côté de la plaque.

Les essais géopolitiques ne vieillissent pas toujours bien, d’autant plus lorsque l’actualité avance à un rythme effréné. Là, on sent que cela ne sera pas le cas car Giuliano da Empoli sait prendre de la hauteur grâce à une érudition historique qui apporte immédiatement de la profondeur en invoquant notamment la Renaissance italienne, Machiavel et Borgia.

Sa thèse est que nous vivons un moment « borgien ». Les Trump et consorts sont des borgiens, «des organismes particulièrement adaptés aux phases de turbulence». Comme César Borgia, le modèle du Prince de Machiavel, ce sont des accélérationnistes, résolus à l’action brutale en bafouant toutes les règles internationales afin de sidérer le parti adverse. Et ces prédateurs autoritaires sont prêts à en découdre  avec le soutien des conquistadors de la Tech, d’Elon Musk aux papes de l’IA, Sam Altman et Demis Hassabis, avec leurs implacables algorithmes.

Le constat est aussi alarmé qu’alarmant sur les menaces pesant sur les démocraties occidentales, bien démunies à ce jour. « La lutte continue » sont les derniers mots du livre. Assurément, elle continue. Giuliano da Empoli ne propose pas de solutions toutes prêtes, mais sans doute aurait-il pu pour apporter un peu d’optimisme en rappelant comment ont fini les Borgia dans l’Histoire ou encore l’Empire espagnol des conquistadors …

Marie-Laure Kirzy

L’heure des prédateurs
Récit de Giuliano da Empoli
Editeur : Gallimard
160 pages – 19 euros
Date de parution : 3 avril 2025

1 thoughts on “« L’heure des prédateurs », de Giuliano da Empoli : chez les Borgia 2.0

  1. merci pour cette critique. si o. veut un peu d’optimisme, il est peut-être à chercher du côté de Damasio après sa visite à la silicon valley. que ce soit Da Empoli ou Damasio de très bons livres.

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