A partir de prémisses scénaristiques excitantes, Vrais voisins, faux amis manque trop de courage – ou soigne trop son public pour ne pas le fâcher – pour déboucher sur une série réellement caustique et originale. Dommage !

Si la banlieue est chez nous synonyme de cités, de gangs et d’insécurité, aux USA, c’est exactement l’inverse : les centres-villes largement abandonnés à la pauvreté, les riches (et plus encore, si affinités) se barricadent dans de richissimes banlieues pour se protéger de la violence du monde. Une violence que, bien sûr, ils ont engendré eux-mêmes, comme membres actifs d’une classe dirigeante s’adonnant à des jeux financiers amoraux et méprisant largement les gens « ordinaires » qui ne sont au mieux que des accessoires de leur vie, ou des serviteurs obéissants soumis à leurs quatre volontés. Une violence que, inévitablement, ils vont reproduire dans leur monde feutré d’hypocrisie et de mensonges.
C’est dans l’une de ces banlieues (imaginaire, pour le coup), protégée contre la pauvreté et ses démonstrations offensantes, que se déroule la série Your Friends & Neighbors (ou Vrais voisins, faux amis en version française, un autre exemple de titre maladroit, voire stupide). Jonathan Tropper y raconte les mésaventures tragiques – mais souvent très drôles – de « Coop » (incarné par Jon Hamm), un gestionnaire de fonds spéculatifs qui vient de perdre coup sur coup sa femme (infidèle avec l’un de ses meilleurs amis) et son job (du fait d’une brève liaison avec l’une de ses collègues). Désespéré par la disparition instantanée de sa « fortune », « Coop » imagine pouvoir cambrioler ses voisins fortunés pour maintenir son train de vie. Ce postulat audacieux aurait pu – pardon, aurait dû – nous offrir une satire mordante de la haute bourgeoisie américaine. Au fur et à mesure que notre héros découvre la futilité de sa réussite passée, et l’hypocrisie dissimulée derrière ses relations d’amitié, comme ses aventures amoureuses, il se trouve devant des choix de plus en plus difficiles à assumer : perdre définitivement sa femme qu’il aime encore et ses enfants, égarés dans l’enfer de l’adolescence ? renoncer définitivement à une vie facile de luxe ? continuer à se compromettre avec des gens dont il a percé à jour l’immoralité ?…
Cependant, la série peine à exploiter pleinement cette promesse ambitieuse de déconstruction du mythe US de la réussite individuelle liée à la fortune et au pouvoir, et les aléas du scénario, sans doute trop complexes finalement par rapport au propos initial, désamorcent peu à peu la tension, au profit de développements narratifs assez convenus. Dès son ouverture en forme de flashback à partir de la découverte du corps d’un personnage assassiné, Your Friends & Neighbors adopte des éléments d’un thriller « conventionnel » (qui est le mort ? qui l’a tué ? comment notre héros se tirera-t-il d’une situation aussi difficile et dangereuse ? etc.). La série hésitera ainsi entre plusieurs genres : la satire sociale, le drame familial, la comédie de mœurs, et, donc, le thriller. Sa cohérence en souffre, et l’intérêt du téléspectateur va varier en fonction des éléments qui l’intéressent le plus.
Plus grave, l’impact potentiel de la critique sociale – voire politique – finit torpillé, en particulier par un happy end faussement provocateur : peut-on réellement critiquer le matérialisme mortifère, typique de la société US, tout en le célébrant ? On comprend bien que, dans le climat politique actuel, une telle histoire allant jusqu’au bout de sa logique aurait été jugée comme « socialiste », voire « terroriste », un luxe qu’Apple TV+ ne pouvait se permettre !
Ce qui atténue notre déception est la performance une nouvelle fois « fantastique » de Jon Hamm, incarnant avec ce brio et ce charisme qui le caractérisent depuis Mad Men (et qu’on a vu à l’œuvre aussi dans la dernière saison de Fargo) un homme en pleine déroute, tour à tour terriblement cynique et infiniment vulnérable émotionnellement : à la fois superbement dominateur et profondément mal à l’aise, il est un personnage à la complexité réjouissante. Malheureusement, on ne peut guère en dire autant des personnages secondaires, quasiment tous antipathiques, voire parfaitement haïssables, et surtout terriblement superficiels. Le pire est sans doute le cas d’Elena (Aimee Carrero), potentiellement passionnante (une domestique obéissante dissimulant une jeune femme prête à tout pour échapper à sa condition sociale, ainsi qu’au machisme toxique de sa culture familiale), à qui le scénario ne donne finalement pas la possibilité d’exister réellement. Seule exception à cette règle, le beau personnage de « Ali » (Lena Hall, très convaincante), la sœur instable et en souffrance de « Coop », apporte de précieux moments d’émotion à la série.
Your Friends & Neighbors a été construite sur un concept prometteur, bénéficie de l’interprétation remarquable de Jon Hamm, mais souffre d’un manque de direction claire et d’une indéniable superficialité : on parle donc d’un bon divertissement, mais guère plus.
Eric Debarnot