Petit film qui ne semblait rien promettre qu’une comédie française « standard », le répondeur se révèle plutôt fin et intelligent : une belle surprise portée par un duo d’acteurs en état de grâce.

Le point de départ de Répondeur est assez improbable : Pierre Chozène, un écrivain établi et respecté n’arrive plus à trouver la tranquillité qui lui permettrait de travailler sur son prochain livre, qu’il souhaite plus personnel, car il passe son temps au téléphone à gérer le chaos qu’est sa vie sentimentale, familiale et professionnelle. Lui vient alors l’idée d’embaucher Baptiste, un jeune imitateur doué mais encore méconnu et fauché, pour tenir son rôle au téléphone : les problèmes vont alors s’accumuler quand ce dernier fera preuve – comme on le lui a demandé – d’initiative. Soit un pitch « dans l’air du temps » (l’emprise du téléphone sur nos vies) mâtiné d’une idée « à la Intouchables », puisque le film orchestre la rencontre entre un bourgeois (blanc) français typique, bien installé dans la société et la « culture » traditionnelles, mais pas loin du « bout du rouleau », et un jeune (noir) moins bien loti, mais doué et représentant une société contemporaine plus dynamique…
Et une partie du Répondeur suit en effet ce programme à la lettre, à travers l’alchimie formidable entre Denis Podalydès – un acteur dont la grâce et la justesse ne s’usent décidément pas avec les années – et l’encore peu connu Salif Cissé, qui crève littéralement l’écran, mais lui aussi dans un registre retenu, mesuré, emprunt de douceur. Mais au lieu d’exploiter ce duo brillant pour créer une comédie française comme on en voit tant (et pas souvent des bonnes, admettons-le), Fabienne Godet, réalisatrice et co-scénariste, fait le pari de la complexité, aussi bien dans la narration, et ses nombreux rebondissements – au risque de s’emmêler parfois les pinceaux, alors que le film gagnerait à faire un quart d’heure de moins – que dans les thèmes qu’il travaille : bien sûr, le rôle du mensonge – et ses risques – dans les rapports humains, mais également la quête de la reconnaissance et du succès, aussi éphémère soit-il, sans oublier – même si ce ne semble qu’un détail – cette terrible opposition, même dans le domaine de l’Art, entre une classe supérieure qui n’espère plus rien (la collapsologie devient objet de fascination) et un prolétariat qui a avant tout besoin de « bouffer ». Avec, en cerise sur ce gâteau à la fois « feelgood » et angoissé, deux doigts de comédie romantique qui va bien.
Bien entendu, aussi invraisemblables que soient certaines scènes (… mais on a envie d’y croire, comme toujours quand un film nous emporte…), le Répondeur tient la route grâce au travail vocal de Salif Cissé, qui a semble-t-il été assisté par l’imitateur Michael Gregorio : la dernière scène, où l’on voit Baptiste chanter de la soul music en passant d’une voix célèbre à une autre, est assez magique, même si, évidemment, on peut soupçonner que la technologie ait donné un coup de pouce à l’acteur.
Voilà en tout cas un joli « film du milieu », à équidistance de la comédie populaire et du cinéma d’auteur, à qui il ne manque pas grand chose (un scénario moins complexe, une mise en scène qui ait un peu plus de caractère, l’élagage de certaines longueurs) pour être une réussite totale.
Eric Debarnot