Deux ans après Okavango, Caryl Férey nous embarque pour les îles Féroé, dont les paysages magnifiques servent fois de décor à Grindadráp, un polar efficace au cœur d’une nature déchaînée.

Les titres des romans de Caryl Férey, depuis Haka (1998) jusqu’à Okavango (2023) sont toujours des références explicites aux lieux et aux cultures que le romancier a choisi d’explorer dans ses polars. On le sait – c’est même devenu une sorte de facilité journalistique – Caryl Férey est une sorte d’écrivain voyageur dont l’inspiration découle directement des endroits qu’il visite et qu’il apprend à connaître. Quatre ans après Lëd, Grindadráp est son deuxième roman seulement à préférer le Nord au Sud puisque ce sont les îles Féroé qui servent cette fois de décor à l’intrigue policière imaginée par Caryl Férey.
Le roman commence par deux événements – l’un naturel, l’autre causé par l’homme – mais qui vont finalement se révéler symboliquement connectés. Le premier prend la forme d’une méga-tempête qui s’abat sur les îles Féroé, ne laissant derrière elle que destruction et désolation. Les pages que Caryl Férey consacre à l’ouragan, épiques et terribles, sont parmi les plus réussies du roman. C’est ce premier événement qui précipite sur l’archipel deux activistes de Sea Sheperd, dont le bateau a été jeté là par l’ouragan. Gabriel et Ayleen découvrent alors le deuxième fait déclencheur de l’intrigue : le Grindadráp. Férey nous apprend que ce mot désigne une vieille tradition féroïenne qui consiste à chasser des cétacés, les conduire vers des criques où les animaux sont tués à l’aide de couteaux ou de crochets… Cette pratique, inscrite dans la culture locale, est très controversée pour des raisons éthiques, bien évidemment, mais aussi parce que la viande des cétacés est considérée impropre à la consommation… Au cours du roman, l’un des personnages compare d’ailleurs le Grindadráp à la tauromachie : on peut s’y opposer mais il faut savoir qu’il s’agit d’une tradition puissamment inscrite dans la culture de ces îles du bout du monde. Caryl Férey, comme à chaque fois, multiplie les points de vue, suggère le sien, mais laisse surtout au lecteur le soin de se faire sa propre idée.
Quoi qu’il en soit, les deux événements finissent par n’en former qu’un seul : les îles Féroé sont coupées du monde par la tempête, Gabriel et Ayleen sont donc piégés avec des habitants qui les regardent d’un très mauvais œil et, pour compliquer encore un peu plus la situation, le corps du vieux chef du Grindadráp est retrouvé au milieu des cadavres de cétacés : il a été assassiné.
L’intrigue policière qui démarre alors, à défaut d’être originale, va se révéler suffisamment efficace et servir de fil conducteur à un récit qui vaut surtout pour son cadre et son atmosphère. Caryl Férey excelle dans l’art de restituer un décor, une ambiance. Le vent, la pluie, les embruns, le froid, la solitude, l’hostilité et la beauté de ces îles sont parfaitement rendus tout au long d’un roman qui peut aussi surprendre par la place qu’il semble accorder au sentiment amoureux. Le récit s’articule en effet autour de deux couples en devenir, Gabriel et Ayleen, mais aussi Soren (capitaine de police) et Eirika (journaliste), leurs seuls alliés dans cette histoire. Face à eux, la violence des événements mais aussi la corruption, la bêtise, la vénalité. Et si Férey décrit un monde dur et brutal, il semble croire à la possibilité d’un espoir grâce à l’amour.
Autre caractéristique qui pourra déstabiliser l’amateur de polar : l’ambiance quasi surnaturelle qui entoure les événements et qui laissent entrevoir l’idée que tout ici ne dépend pas que des actions humaines mais qu’il existe d’autres forces (magiques, chamaniques) à l’œuvre dans l’enchaînement des situations.
A l’instar d’Okavango, Grindadráp se révèle donc autant roman d’aventures que polar et, s’il n’est sans doute pas le roman le plus abouti de Caryl Férey – on lui préfèrera Zulu (2008) ou Mapuche (2012) –, il n’est reste pas moins un divertissement de très bonne facture, efficace et instructif.
Grégory Seyer