« N’oublie pas notre Arménie » : un hommage vibrant aux victimes de la barbarie

L’écrivain franco-algérien Yahia Belaskri quitte l’histoire de l’Algérie au coeur de ses précédents romans pour composer un chant d’amour au peuple arménien. Son regard d’un profond humanisme suit les dix-huit mois d’exode d’une poignée de survivants des massacres de Cilicie au Sud de l’ancien Empire ottoman.

Yahia Belaskri
Noublie Pas Notre Armenie

Avril 1909, Maritsa, jeune médecin arménienne, arrive d’Istanbul pour une mission humanitaire à Adana. Quelques jours après, s’ouvre une nuit de violence, prélude au génocide arménien de 1915. Dans la nuit du 25 au 26, l’armée régulière turque aidée par les mercenaires Bachi-bouzouks massacrent les chrétiens arméniens d’Adana et pillent leurs commerces, églises et écoles. Puis ces pogroms dégénèrent en une flambée de violence dans toute la province durant un mois, le nettoyage ethnique faisant au moins 20.000 victimes.

Noublie Pas Notre ArmenieMaritsa parvient à fuir avec un jeune prêtre orthodoxe Burak, et une poignée de rescapés dont des enfants. C’est le début de leur exode vers l’Est dans un pays qui ne veut plus d’eux, d’Alep à Samarcande avant de rejoindre Alexandrie, sans savoir ce que le sort leur réservera et quel accueil ils recevront dans chacune de leur escale. Le récit que nous lisons est celui que Maritsa consigne dans ses carnets.

Son récit, on le lit empreint d’une solennité, porté par l’élégance élégiaque de l’écriture de Yahia Belaskri, raffinée, lyrique, poétique avant tout. Sa prose accompagne les exilés avec une sensibilité qui frémit à chaque page. Des passages poétiques en vers libres coupent le récit, l’enjambent carrément, formant un choeur antique de voix féminines qui, de façon lancinante, ville après ville, disent l’urgence à vivre, à survivre après la tragédie. Ces passages sont bouleversants, à lire comme des antidotes à la barbarie en cours ou à venir.

« Une voix de femme depuis Ourmia (ville actuellement au Nord-ouest de l’Iran) :
le sel de notre mer ancestrale
appartient à ton peuple
goûtes-y
tu retrouveras le sein de ta mère
et l’abricot de Mendzmama
tu n’es pas l’étranger
Ourmia est ta demeure
jamais ne l’oublie »

Jamais Maritsa et Burak, lui même survivant des massacres hamidiens de 1895, ne se laissent aller au désespoir. Malgré les horreurs qu’ils fuient, la lumière perce en permanence le récit. Lorsque tout semble perdu, avons-nous réellement tout perdu ? Maritsa s’accroche à ses racines, aux souvenirs des siens, à ses inconnus qui l’accueillent et la protègent. Elle s’ouvre à une possible histoire d’amour.

On sent toute la sincérité de Yahia Belaskri à célébrer la résilience du peuple arménien, et, de façon plus universelle, celle de tous ceux qui souffrent, les justes, les innocents, les purs. Il rappelle avec force à quel point l’Orient était/est un territoire civilisationnel au carrefour de l’Europe et de l’Asie, riche de sa multiculturalité depuis des millénaires, comme Alep « mêlant mondes arabe, turc et persan, joignant islam, christianisme et judaïsme, elle est une mosaïque de peuples, de langues et de religions. Des populations sont venues, elles ont fait souche, d’autres les ont rejoints, et tout s’est renouvelé, emmêlé, tissé. »

Dans le contexte actuel de violence récidiviste dans cette région du monde, ce chant d’amour à la tolérance et à l’entente oecuménique fait du bien à lire, d’autant que jamais l’auteur ne se perd dans un discours moralisateur et grandiloquent, juste terriblement humaniste.

4 étoiles

Marie-Laure Kirzy

N’oublie pas notre Arménie
Roman de Yahia Belaskri
Editions Zulma
192 pages – 18,50 €
Date de parution 8 mai 2025

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