Avec sa prose féroce, Jacky Schwartzmann nous propose un nouveau roman aussi original que débridé, dans lequel il évoque la question de la radicalisation en politique, mettant en scène de savoureux personnages.

Pour ses vieux jours, Jean-Marc avait un plan de carrière assez précis. Non, il n’allait pas passer son temps à espionner ses voisins par la fenêtre. Non, il ne prendrait pas le bus aux heures de pointe pour voir du monde et avoir le plaisir de gueuler après les jeunes qui squattent les places réservées. Non, il n’allait pas passer ses après-midis à draguer et faire danser des veuves trop parfumées dans des salsas à prothèses. Non, il ne s’engagerait pas dans des associations de quartiers pour tromper sa solitude et harceler les élus. Non, il ne garderait pas les petits-enfants pendant les vacances scolaires. Il n’avait pas de petits-enfants.
Pas de femme et d’enfants non plus. Jean-Marc est un vieux garçon qui n’aspire qu’à la tranquillité, au farniente et à la liberté. Mais son meilleur ami Bernard n’a rien trouver de pire que de se lancer dans l’activisme et pas seulement pour coller des affiches ou distribuer des tracts dans les marchés. Pour la présidentielle, ce pote d’enfance s’est engagé pour soutenir le Z qui ne veut pas dire Zorro. Il s’est laissé embrigader dans un groupuscule d’ultras pas très droits lyonnais et Jean-Marc décide de l’accompagner pour le protéger de ses démons.
Jean-Marc a un fond de sauce de gauche mais il va devoir passer du côté obscur de la Force, fricoter avec des néo-nazis qui ont autant de cheveux que de neurones, les pieds nickelés et les bras tendus, moucharder avec la bleusaille, chasser des parrainages de maires de trous perdus sans étiquettes mais pas gratuits, comploter avec des entrepreneurs qui font rimer France et rance, et plus grave encore, faire rougir le Code Pénal au rayon crimes et délits.
Jacky Schwartzmann, dix consonnes, deux voyelles et pas mal de points au Scrabble, possède l’art de traiter avec humour et plus qu’un soupçon de cynisme des sujets à priori sérieux. Après la drogue dans les quartiers, les joies du camping hors saison ou un marathon impromptu en Corée du nord, il se lance dans la politique. Et bien… prenez la carte, le marque-page et votez pour lui ! Pas besoin de primaires consanguines ou de campagne électorale avec course à l’échalote.
L’intrigue plutôt originale et débridée interroge le processus et les symptômes de la radicalisation politique. Il parvient à faire émerger la bêtise et le danger de sa prose féroce sans dégouliner de bien-pensance. Priorité aux personnages, caricaturaux pour la bonne cause, celle de l’humour. Schwartzmann, c’est un punk à chien… qui a choisi un chihuahua.
Je ne sais pas si les lecteurs fidèles à ce romancier ressentent, comme moi, qu’il gagne en profondeur à chaque roman sans toutefois tomber dans le piège de se prendre trop au sérieux. Il se cache un peu moins derrière son humour dès qu’il est question d’émotions ou de convictions, mais il n’abandonne pas pour autant sa verve comique et ses formules assassines. Je trouve cette évolution très intéressante à suivre. Il me fait penser à un funambule avançant sur un fil d’équilibre de plus en plus fin, oscillant entre légèreté et pesanteur. Il va finir par tomber sur lui-même.
Olivier de Bouty