Léonie Pernet – Poèmes pulvérisés : la poésie pour réparer le monde

Troisième album de Léonie Pernet, après le très réussi Cirque de consolation en 2021, Poèmes pulvérisés, inspiré de René Char et d’un voyage sur les traces de son histoire familiale au Niger, en impose. Un objet curieusement accessible, fluide, très riche musicalement, pop électro qui sait aussi se faire organique. Du grand art.

Leonie Pernet
© Mathieu Zazzo

Dès le marketing de l’objet, on sait que l’on est ailleurs : Léonie Pernet y est grimée de noir sur fond sombre, sur la très belle photo de la pochette de l’album signée par l’artiste franco-sénégalaise Delphine Diallo, dark mais pas complètement, à peine éclairée par les yeux de la musicienne et les inscriptions en lettres bleu-vert. Ailleurs mais où ?… Sans doute face au grand œuvre de la musicienne, album-concept tombant sur l’auditeur tel une météorite, inspiré par la lecture d’un recueil de poésies de René Char (Le Poème pulvérisé) alors qu’elle revenait d’un voyage au Niger, sur les traces de son histoire familiale côté partenel.  Char avait écrit ces 19 poésies après la seconde guerre mondiale, Pernet a elle aussi une démarche que l’on peut qualifier de cathartique en produisant cet album éminemment personnel sur les traces, souffrances et décombres, de sa famille nigérienne et de ses racines. Troisième album de l’artiste, après le très réussi Cirque de consolation (2021), mixé au studio Motorbass pour l’essentiel, Poèmes pulvérisés en impose donc d’emblée.

Leonie Pernet poèmes pulvérisesPremière impression confirmée immédiatement à l’écoute de la chanson introductivesur des nappes de violons, s’emballant bientôt de manière répétitive, et sur laquelle plane la voix de la comédienne Louise Chevillotte, vue également dans un de ses clips. De la même manière que la photo de la pochette, cette ouverture impressionnante ne va pas trop loin dans les ombres, sachant s’arrêter à temps (3’45’’). Il ne faut pas écraser l’auditeur, et il faut savoir continuer à la surprendre. Et ça, l’ancienne batteuse de Yuksek sait très bien le faire et le démontre ici de manière éclatante le long de ces 35 minutes d’une rare cohérence. Je suis un souvenir qui frappe l’envie est la ligne qui débute la seconde chanson, co-composée avec Jean-Sylvain Le Gouic, sur des notes de piano, bientôt perturbées et remplacées par les claviers. Touareg débute sur des notes de rock en effet touareg, à la Tinariwen / Tamikrest, bientôt bercée par les chœurs puis les boucles dans cet art des contraires en fluidité, est une première clé : « J’entre en résistance / Touareg France / Le Niger qui danse / Dans les c(h)oeurs… »  Premier « tube » de l’album, irrésistible, car Léonie Pernet n’oublie jamais de fabriquer des chansons au format pop. La preuve avec Le Pas de l’au-delà, ballade électro-pop co-composée et chantée par son frère Pierjean, avec ses programmations (aux échos, parfois, de flûtes) enrichissant une mélodie structurée par la batterie ou encore Réparer le monde, ballade malade au piano et premier single extrait, dont le titre peut trouver un écho encore plus inattendu et profond en ces temps perturbés : « Est-ce qu’il nous incombe / De réparer un peu le monde / Qu’est-ce qui au fond nous empêche / Qui au fond nous empêche / Qu’est-ce qui tant nous encombre / Et qui fait que l’on laisse / Jusqu’à l’ombre de ce qui nous reste / Regarde ce qui nous reste… »

On aurait envie de citer tous les refrains et les couplets ici, tant la musicienne arrive à donner une force poétique (proche en cela d’un Bashung) et mélodique, avec fluidité dans un format pop, à ces textes que d’aucuns pourraient trouver abscons. C’est fort, c’est Léonie Pernet. Ne manque peut-être que plus de force et de singularité dans la voix pour faire vibrer encore plus ces textes magnifiques et profond sur ces mini-cathédrales sonores, mais, au fond, est-ce vraiment nécessaire ? Pas sûr du tout.

La deuxième partie est à l’avenant : L’horizon ose, entre beats légers, piano et violon, éblouit, avec un refrain curieusement à la Clara Luciani (« Mon cœur explose / Regarde ce rose… »), chanson de séparation à nouveau très personnelle : « Un septennat d’amour / Aubervilliers en est témoin ») ; Dispak Dispatch, intermède politique, avec des chants de manifestation de sans-papiers (« Fraternité, solidarité !… Des lois fascistes, des lois racistes, y’en a marre ! »), posant le sujet des destinées de ces migrants venus d’Afrique que certains ne voudraient pas voir au sein de la mosaïque, ce melting-pot, qu’est bel et bien la société française. Transition idéale vers les deux sommets de l’album, Paris-Brazzaville, et Acid-Niger, qui creusent le sillon des échos incertains des vies des deux côtés de la Méditerranée et de l’Océan et de leurs violences :  « La violence émerveille / de Paris à Brazzaville  / à la merci du soleil  / la révolution s’aiguise » chante-t-elle sur la première, seule chanson de l’album dont la mélodie est portée par un solide riff de guitare emballé par les programmations diverses, avant de laisser cours à une veine beaucoup plus électro sur la deuxième « Nous on rêve d’amour / D’un temple dédié aux fous / Ces anges qui crèvent chaque jour / Des anges recouverts de bonté / C’est à portée de nous ». Magnifique chanson, dense et pop à la fois. Du grand art.

Après ces sommets, Les Rêves reprend avec succès la recette de début d’album avec des nappes de violons répétitives et montant en spirale, en étant encore remplie de lignes définitives et profondes : « J’aspire à la peine / Voici les rênes du monde / Tiens-les mon ange / La solitude n’égale que l’ombre ». Point d’orgue de l’album, Nymphéas creuse la veine autobiographique de ce projet, dans une conclusion apaisée. Cette comptine au piano s’ouvre sur des mots enregistrés par la grand-mère et la tante de l’artiste, à laquelle la voix de Pernet répond en écho  « Au cœur de l’hiver / Je marche parmi les miens / J’ai confié au désert / Un murmure orphelin / J’ai confié au désert / Mon plus beau chagrin », ses derniers mots gravés sur cet enregistrement, laissant à sa famille le soin de le conclure. Et si ces mots sont très personnels, ils sont aussi la conclusion d’un album étonnamment pop, français, nigérien, touareg, universel. Une brillante réussite.

Jérôme Barbarossa

Léonie Pernet – Poèmes pulvérisées
Label : CryBaby et InFiné / BigWax
Sortie le 6 juin 2025

Poèmes Pulvérisés de Léonie Pernet

Léonie Pernet sera en tournée à l’automne et à l’hiver prochains, avec, à Paris, où elle avait présenté les Poèmes Pulvérisés à la Philharmonie cette saison, un Olympia programmé en fin de tournée, le 31 mars 2026.

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