Parce qu’il nous a enchanté, une fois de plus, avec son dernier album, Country, où il abordait pour la première fois « frontalement » son amour pour ce genre musical encore un peu décrié en France, il nous fallait absolument rencontrer Baptiste W. Hamon pour parler de cette musique qu’il aime tant !

Benzine : Baptiste, tu as une image de musicien à part dans le paysage français, peux-tu nous raconter d’où ça vient ?
Baptiste : J’ai toujours beaucoup aimé écrire, dans des carnets : j’ai toujours aimé la musique, j’avais un frère aîné qui jouait de la guitare, qui lisait les Inrock et Magic dans les années 90, qui me faisait écouter beaucoup de choses. Mais le déclic, ça a été la découverte du folksinger texan, Townes Van Zandt : il s’est passé un truc en moi, une révélation. J’ai écouté tout ce qu’il avait fait, j’ai eu envie d’écrire des chansons. En France il n’est pas très connu, mais aux US, ça me donne de la « street cred » (rires). Je le considère du niveau de Dylan et Cohen en termes de profondeur de l’écriture. J’ai commencé alors à essayer d’écrire en anglais, je me suis trouvé limité dans l’usage de la langue. J’ai eu un deuxième déclic en écoutant du Barbara, du Reggiani, de la chanson poétique française. Même si mon frère m’avait fait découvrir à 15 ans Dominique A, Murat, des artistes indie actuels, que j’aimais, ceux qui m’ont donné envie d’écrire en français, ce sont des poètes de la génération d’avant. C’était le travail sur le texte qui m’intéressait, avec en parallèle mon amour pour le folk et la country US, cette musique qui m’émeut le plus, qui me transporte…
Benzine : On t’imagine facilement jouant ta musique dans une grange, à la campagne… Tu es parisien d’origine ou provincial ?
Baptiste : Un peu des deux. Ma mère est d’origine bourguignonne, de Chablis, et je revendique ce côté-là. Mon père est angevin, j’ai grandi à Nice et on est arrivé à Paris quand j’avais 15 ans. Aujourd’hui, je suis plutôt parisien au niveau de mes attaches… J’ai jamais vécu à la campagne, mais je connais bien la campagne, j’y ai des fantasmes, évidemment. Mes premières chansons étaient dans le registre très simple, utilisé par les chanteurs français, Do-Fa-Sol, des chansons linéaires. J’ai appris à jouer de la guitare pour pouvoir m’accompagner au chant, je ne suis pas un grand musicien, je m’entoure ensuite de gens de talent… J’ai toujours suivi ce cap-là, sans être trop fermé, entre chanson et americana. Quelques fois plus chanson, quelque fois plus americana. On m’a parfois dit : « Surtout fais pas de country en France, ça ne marche pas, les gens ne vont pas aimer ça ! ». Et je l’ai absorbé… jusqu’à mon dernier disque…
Benzine : Oui, ce dernier disque COUNTRY dont on veut parler…
Baptiste : J’ai continué mon exploration et je me suis dit : « Je vous emmerde, ce que j’aime, c’est la country ». L’assumer sur ce dernier disque me rend très heureux : ça m’a permis de toucher un registre musical et de textes différent, complémentaire, qui me manquait jusque là. De parler de cette musique que j’aime et qui est victime de tant de préjugés. Bien sûr, il existe de la musique country très ringarde, mais je suis heureux de pouvoir parler de Townes Van Zandt, de Kris Kristofferson, de poètes alors que les gens associent rarement musique country et poésie… J’ai le sentiment, moi qui en écoute depuis très longtemps et qui ai longtemps crié dans le désert, qu’il y a depuis cinq, sept ans un regard différent. C’est peut-être l’effet de films, de séries, qui ont montré aux gens que la country ce n’est pas seulement Cotton-eyed Joe, les chansons qu’on peut danser à un mariage en se prenant par les dessous de bras…
Benzine : Plus grave sans doute que cet aspect folklorique, il y a aussi l’image d’une musique réactionnaire du Sud des USA…
Baptiste : Il y a les deux. En France, l’image ringarde est la première, avec les groupes de « line dance » qui cartonnent ici : on m’a expliqué que c’est la danse et le folklore qui intéressent les Français qui font partie de ces clubs de danse en ligne. Pour eux, c’est un peu du déguisement. Pour le côté réac, oui, la « country variété », à Nashville, a toujours été chapeautée par une industrie historiquement réactionnaire. Après, des bons artistes country de droite, je n’en connais pas beaucoup ! (Rires) Il y a bien sûr des gens « neutres » : Dolly Parton, elle est très maligne, elle dit : « Tu ne donnes jamais ton opinion politique », et elle est à la fois appréciée par la communauté LCGT et par des mémés bigotes… C’est un talent, ça !
Benzine : Est-ce que, justement, en ce moment, il ne serait pas nécessaire quand même que les artistes US s’engagent plus ?
Baptiste : J’étais au concert de Bruce Springsteen à Lille, et lui, pour le coup, il cause, ce qui ne nous étonne pas de lui. Dans l’Americana, les gens aussi parlent, parce que ça a toujours été un genre pour les gens qui ne se reconnaissaient pas dans le mainstream, où la politique ne faisait pas débat. Mais il y a aujourd’hui un côté désabusé vis à vis de la politique, en France comme aux Etats Unis ; sauf qu’aux Etats Unis, c’est plus scindé en deux, démocrate ou américain. Tous mes amis américains ont roulé pour Biden et Harris, mais on les a sentis sans trop de conviction. Ou avec l’unique conviction qu’il ne fallait pas que Trump soit élu. Il n’y a plus d’enthousiasme envers un projet…
Benzine : Revenons à ton évolution, quelle a-t-elle été au long de ton parcours ?
Baptiste : Il y a eu une évolution. Les disques que j’ai fait jusque là l’ont été en fonction de mes rencontres. Mon disque « Zéro », c’est mes « Austin Sessions« , quinze morceaux enregistrés à Austin avec mes copains en deux jours, avant tous les autres, mais sortis seulement l’an dernier. Il y a une vraie sincérité là dedans. J’ai ensuite enregistré mon « premier » disque à Nashville avec Mark Nevers, qui avait bossé avec des gens comme Bonnie Prince Billy, mais aussi avec Sylvain Vanot, il me semble, ce qui avait rassuré mon producteur en France. Expérience géniale : les maquettes faites en France, l’enregistrement à Nashville… même si avec le recul, je n’ai pas laissé assez de place à Nashville au réalisateur et aux musiciens… Ensuite, ça a été Soleil Bleu, entouré de gens de confiance en France, il y avait une certaine pression commerciale de la part de BMG : j’ai fait cette chanson, que j’assume complètement, Je brûle, qui est ma chanson la plus streamée (pour donner raison à la maison de disques…), mais qui a été un petit pas de côté vers la pop. Mais c’est le plaisir de ce métier, de faire des expérimentations. Je préfère trancher pour pouvoir avancer, c’est mieux que de ne rien faire. Le troisième disque, Jusqu’à la lumière, je l’ai fait avec John Parish, c’était ma volonté de faire un disque de réalisateur, je lui ai donné carte blanche. J’en suis très fier, même si c’est ensuite ce qui m’a donné envie de faire le disque country, plus brut. Je ne suis pas un artiste de premier plan, je ne fais pas un « produit » sur lequel je dois être vigilant pour respecter un cahier des charges, mes chansons doivent représenter qui je suis, qui j’ai été pendant les trois ou quatre dernières années : tant que j’aurai des choses à dire, je les dirai en chansons, et ça évoluera parce que j’évolue en tant qu’homme…
Benzine : Tu as parlé de l’importance des mots pour toi, mais tu n’as cité au début de cette interview aucune influence « littéraire »…
Baptiste : Je lis beaucoup, mais les poètes et romanciers qui m’inspirent le font plus par leur état d’esprit, leur démarche que par leur style littéraire. J’aime les choses plutôt subversives , comme Lautréamont, Julien Gracq, qui n’était pas un punk, mais écrivait de manière complètement différente de son époque, et avait refusé le Goncourt. Inconsciemment, ça doit m’inspirer, mais, non, mes références viennent de la chanson. J’ai des références dont je n’ai pas parlé, comme les auteurs de la « Country Outlaw » des années 70 : Willie Nelson, Waylon Jennings, Kris Kristofferson, et quelques autres… C’était les punks de la country, qui, au début des années 70, se sont rebellés contre Nashville, sont repartis au Texas, se sont laissé pousser les cheveux, ont raconté qu’ils fumaient des pétards, se bourraient la gueule, ont arrêté de « mentir » sur ce qu’ils étaient. Et comme ils ont eu du succès, Nashville leur a dit de revenir et leur a fait signer des contrats ! (rires)
Benzine : Pour le dernier disque, tu as eu une approche différente ?
Baptiste : Oui, ce dernier disque, je l’ai réalisé moi-même, j’ai des idées des précises même si je ne suis pas un très bon musicien. Pour la première fois, j’ai fait les arrangements moi-même, des maquettes chez moi, sur mon Garage Band, en jouant des lignes de basse sur mon clavier, en fredonnant des lignes de guitare électrique que j’entendais. Ensuite, j’ai bossé avec mes musiciens de scène, et on est allés en studio enregistrer live guitare-basse-batterie. Puis je suis allé chez mon ami Boris Boublil, qui a collaboré notamment avec Dominique A, qui a joué les claviers, mis de l’ordre et mixé le tout. J’ai été le chef d’orchestre de ce disque, pour la première fois depuis les Austin Sessions : ça m’a donné des ailes, et je sais que je veux maintenant garder la main sur ce qui je fais, en m’entourant des bons musiciens bien sûr. J’ai envie de creuser ce sillon pour les prochains disques…
Benzine : Il y a une chanson sur le disque dont tu es particulièrement fier ?
Baptiste : Attends, je reprends le disque… Je vais te donner une réponse qui n’est pas celle que tu attends. Ma chanson préférée est peut-être Rabbit Pâté, qui est pourtant la moins country, mais qui fait le lien entre la country et ce que je suis. Et puis bien sûr, Fièvre Honky Tonk, écrite pour me marrer, mais en pensant d’abord « musique » : j’entendais tout de suite le tempo, je suis fier d’un exercice réussi de chanson country, avec des choses amusantes et personnelles.
Benzine : Et c’est quoi, l’avenir immédiat ?
Baptiste : L’avenir est excitant, au delà du disque, je suis interviewé pour la première fois par des gens sur le sujet de la musique country, il se passe quelque chose. Je vais continuer à fond dans cette direction. En ce moment, je travaille sur des adaptation en français de classiques de la country US, ce sera sûrement les prochains titres que je vais sortir, pour présenter au public les chansons que j’aime bien, en jouant sur le langage. Pour le suivant, j’ai déjà une partie des chansons, mais je ne sais pas encore comment je vais le faire, ça dépendra du budget, de si j’ai un label qui m’accompagne…
Benzine : Dernière question, ton duo rêvé avec quelqu’un, de mort ou vivant, ce serait avec qui ?
Baptiste : Le plus évident, ce serait Townes Van Zandt, l’artiste dont je me sens le plus proche, il y a quelque chose de mystérieux, de mystique presque là dedans, que je n’expliquerai jamais. J’aurais voulu le rencontrer pour comprendre. C’était quelqu’un de pas facile, de dépressif, mais j’aurais aimé le rencontrer…
Propos recueillis par Eric Debarnot