Après 25 ans d’absence des scènes hexagonales, The The se produisait dans un Bataclan à guichets fermés. Un retour réussi valant bien, une fois n’est pas coutume, un compte-rendu à quatre mains.

Cela faisait donc… un quart de siècle (!) que The The ne s’était pas produit à Paris (et dans l’hexagone tout court). Ce qui faisait de ce Bataclan à guichets fermés un petit évènement. Il faut aussi dire que, entre leur apparition au Festival Meltdown à l’invitation de Bowie en 2002 et le retour scénique de 2018, Matt Johnson s’était consacré à la composition (pour des documentaires, des installations artistiques…) avant que The The ne ressorte un simple en 2017. En dehors de sa série de BO, les Londoniens ont publié un live en 2021… et Ensoulment, l’album défendu lors de l’actuelle tournée, en 2024.
En première partie officiaient d’autres revenants, le groupe Perio, fondé il y a plus de 30 ans à Nantes, et qui avait connu des débuts pétaradants sur Lithium, avec leur pop un peu folk / americana sur les bords, parfois un peu dissonante, voire malade sur les bords, mais restant mélodieuse. Depuis, il faut bien dire qu’on avait un peu perdu de vue Perio, qui affiche désormais 5 albums au compteur, et se prépare à en publier à l’automne un sixième, The Sharp Bones of My Sleep, chez Objet Disque et produit par Chevalrex. Il est précédé d’un single bourré de cuivres rutilants et « à la Calexico« , Graffiti Palace, dévoilé il y a quelques jours, figurant dans la dernière playlist Benzine, et joué par exemple dans une des toutes dernières éditions de « Côté Club » sur France Inter.
Le groupe se résume désormais à Eric Deleporte, la co-fondatrice Sarah Froning n’y étant plus active : il s’entoure sur scène de musiciens changeant, dont Christian Quermalet (The Married Monk) ou Stéphane Milochevitch. Une sorte de Matt Johnson à la française, mais avec moins de succès, en tout cas un outsider attachant… Accompagné au Bataclan de Tom Rocton au trombone et à la guitare – et au t-shirt « Stop Making Sense » d’actualité, puisque le film de Demme sur les Talking Heads vient de ressortir dans les cinémas de l’hexagone, Eric Deleporte / Perio a déroulé une petite demi-heure de sa pop élégante, parfois dissonante. Il a eu le plaisir d’évoluer devant une salle déjà très remplie (aux deux tiers…), et n’a pas manqué de remercier Matt Johnson en fin de set, dont il avait beaucoup écouté Uncertain Smile, comme il l’indiquait dans un post récent sur Facebook. Un joli set, dans une formule à l’os très efficace (à deux guitares ou guitare-trombone selon les morceaux), comprenant entre autres beaux moments, No Western Land Fits Your Passion et la conclusion du set, Billboard 2, extrait de Medium Crash, le deuxième album de 1999, peut-être le sommet historique du groupe. On écoutera avec intérêt ce nouvel album dans quelques semaines, après ce premier single prometteur, et l’on guettera des dates en tête d’affiche, notamment dans les salles parisiennes.
Puis c’est au tour de The The. Le groupe d’un petit « classique New Wave » (Soul Mining) et de quelques grands morceaux ici et là dans la suite de leur carrière, parfois illuminés par la six cordes de Johnny Marr (présent en guest sur certaines dates britanniques, pas ici, hélas !). Comme par exemple Armageddon Days Are Here (Again), jouée lors du concert de ce soir. Un morceau revisitant génialement Ballroom Blitz de Sweet pour, quelques jours avant la Chute du Mur de Berlin, annoncer ce qui suivra : le règne des obscurantismes religieux. A ce propos, le texte de Sweet Bird of Truth, faisant partie de l’excellent début du concert, semblait à la même époque préfigurer la première Guerre du Golfe.
On pourrait même dire que le début du concert dessine un Matt Johnson hier prophète du malheur d’hier et semblant signaler aujourd’hui qu’il ne s’était pas trompé. Comme avec ce Heartland qui indiquait en pleine ère Thatcher 1) que Londres pouvait à l’époque inspirer des textes en mode « envie de se pendre » autant que le Nord du pays. 2) que l’américanisation du Royaume Uni poussée par la Dame de Fer et son électorat du Sud était aussi pénible vue de la capitale. Ou le récent Kissing the Ring of POTUS en mode Rome/Amérique morte parce que squattée par Trump.
Tout ce début est marqué par un Matt Johnson habitant la scène par sa voix et son charisme statique, accompagné par d’excellents musiciens. Même si les belles parties de guitare en arpèges de The Beat(en) Generation font regretter de ne pas les avoir entendues live à l’époque où Marr faisait partie du groupe. Vient ensuite un peu d’optimisme au fond du trou avec Love Is Stronger Than Death. Morceau introduit par Johnson en rappelant qu’il fut écrit pour surmonter le choc de la mort de son frère.
C’est ce que l’on a deviné au milieu du brouhaha avant de vérifier la chose. Comme on a d’ailleurs vaguement entendu un hommage aux victimes du Bataclan. Ce bruit qui couvrit pas mal des intermèdes parlés est probablement dû à une fanbase anglaise s’étant déplacée en masse pour le concert. Des fans britons bruyants, on en a croisé des deux côtés de la Manche… mais jamais au point de noyer les discours d’un performer pour un public éloigné des premiers rangs. Ou serait-ce que la voix de Johnson ne porte pas assez pour couvrir ce genre de boucan, contrairement par exemple à un Liam « grande gueule » Gallagher lors de son dernier Zénith ?
Progressivement Johnson se fera plus mobile, plus énergique, entre autres sur le classique This Is the Day. Puis sur Dogs of Lust, morceau pouvant prétendre à la bien vaine distinction de plus grande intro à l’harmonica du Rock anglais. A propos d’harmonica, la version jouée de Slow Emotion Replay ne comportera pas la superbe intro avec cet instrument qui figure sur disque. A la place, et à celle du côté pop ligne claire du morceau, on aura du synthétiseur, de la boite à rythmes, le batteur laissé au repos et de la guitare au son très Shadows pour une version alternative assez réussie.
La fin du concert sera marquée par la participation de Zeke Manyika, membre de feu Orange Juice. Avec un superbe brelan en rappel : Lonely Planet, Uncertain Smile (incluant de longues parties au piano faisant tout sauf démonstration de virtuosité) et GIANT. Un morceau doublement précurseur. Parce qu’avec son mélange d’influence instrumentale du Hip Hop US commercial de l’époque et de New Wave, il rappelle qu’en 1983, il n’y avait pas que New Order pour faire danser le désespoir. Parce que sa durée épique lui donne quelque chose qui préfigure les classiques défoncés de Madchester.
Et l’on quitte cet excellent concert avec l’idée que l’apport de The The au Rock anglais mériterait d’être mieux considéré.
Perio :
The The :
Ordell Robbie / Jérôme Barbarossa
Photos : Isabelle Sueur (Merci à elle !)
Son dernier album est une merveille. J’aurais tellement aimé le voir les voir…