[Live Review] Jalen Ngonda et Joel Culpepper à La Défense Jazz Festival : Tomber la chemise !

Soirée britannique à La Défense mardi dernier. Quoi de plus logique dans le quartier d’affaires qui a bénéficié du Brexit de continuer d’accueillir les meilleures têtes de sa Majesté ? Jalen Ngonda, le nouveau prince de la soul-funk, en fait assurément partie.

La Défense Jazz Festival - Jalen Ngonda
La Défense Jazz Festival – Jalen Ngonda – Photo : Franck BENEDETTO

On ne parle pas assez de soul et de funk, en réalité d’autres choses que de rock, dans nos live reviews, me disais-je, et, à un moment donné, c’est bien aussi d’être pleinement cohérent avec la ligne généraliste et d’ouverture de Benzine, comme en témoignent nos sélections hebdomadaires d’albums et de playlists depuis des années. La playlist de Benzine, Jalen Ngonda, la tête d’affiche de cette soirée au La Défense Jazz Festival, il connaît, en ayant eu les honneurs 8 fois exactement – pouvant raisonnablement prétendre au titre de champion d’Europe de la discipline !

Alors, direction La Défense, où le Conseil départemental de feu Patrick Devedjian (des Hauts-de-Seine), organise avec ses partenaires, depuis près de 40 ans, un festival en plein air, avec des concerts gratuits, matin et soir, à l’occasion d’une des semaines les plus chaudes de l’année. Bref, tout l’inverse de We Love Green (un festival payant, cher, sur une des semaines les plus capricieuses du point de vue de la météo de l’année, organisé par un groupe privé, avec divers partenaires institutionnels). Mais ne soyons pas taquins, et allons donc nous rendre sur la dalle de l’esplanade, qui, pour la saison estivale, ne désemplit pas d’animations saisonnières. Gare à bien repérer la scène, quelque part entre le Cnit et les Quatre-Temps — tout cette introduction étant bien évidemment destiné à faire s’exclamer nos lecteurs provinciaux « qu’est-ce que c’est bon d’être loin de tout cela ! » Il y aurait sans doute matière à débat, quant aux charmes insoupçonnés du quartier d’affaires, mais allons donc au but : la musique, « jazz » selon la terminologie désormais officielle, va de la soul à l’électro en passant par le funk, la néo-soul et plein d’autres choses que même les lecteurs de Jazz Magazine ne sont pas sûrs de connaître.

 

Joel Culpepper - La Défense Jazz Festival
Joel Culpepper – La Défense Jazz Festival

Celui qui a l’honneur de débuter la soirée sous le cagnard francilien, Joel Culpepper, a quelque chose de Jean-Pascal Zadi, pour la malice, mais un Zadi gravement baraqué. Dans un format ultra simple (au chant, complété d’Alex Wadstein à la batteries et aux percussions, et d’un guitariste, Rich de Rosa), torse nu du début à la fin, le chanteur de 41 ans va mettre le feu à l’Esplanade, remplie à cette heure (19h) de cadres sortant du boulot dans leur tour, et de pas mal de jeunes, soit également sortis de leurs tours (car il y a des jeunes qui travaillent à La Défense) ou étudiants ou vivant pas loin… Son set de 40 minutes est court et efficace, reposant pour l’essentiel sur son deuxième album publié, Sergent Culpepper (!), publié en 2021, regorgeant de chansons néo-soul allant gaiement sur le territoire du funk.

Souriant et détendu, tout comme le public, avec qui il échange beaucoup mais en sachant ne pas trop en faire, Culpepper a tout, si ce n’est de la future star, du moins du bon pro, variant les tempos et sachant mettre sa voix en avant quand il faut (jusque dans un registre falsetto sur le midtempo très réussi Just Heartbroken). On sent l’émotion d’avoir réussi à faire de la musique son job à plein temps sans se renier non plus ; il explique d’ailleurs qu’il travaillait avant dans une école, et dédie aux anciens élèves de son établissement Remember, qui vire funk. Saluant son frère, qui le produit, en showman, il fait chanter joyeusement le public sur Free comme sur une chanson de rupture (ou pour l’éviter), Break — « We don’t have to break baby. We can live in harmony » (On n’est pas forcés de se séparer, bébé. Nous pouvons vivre en harmonie). Original et joyeux. Enfin, Culpepper dédie la dernière chanson du set (la bien nommée Woman) à toutes les femmes du monde, limite démago, mais toujours souriant et sympa. Que demande le peuple ? En quittant la scène, il promet de nouvelles chansons pour bientôt. On pourra le retrouver dans tous les cas très vite sur une scène francilienne, au New Morning, le 4 septembre, dans le cadre du festival Jazz à la Villette qui est positionné symétriquement dans le calendrier estival à la rentrée.

 

Ngonda Jazz La Défense 01
Ngonda au Festival Jazz La Défense – Photo : Paul Lardet

C’est un autre artiste également programmé à la Villette (le 29 août, à la Cité de la Musique) qui lui succède, en tête d’affiche de cette soirée à La Défense, et quel artiste : Jalen Ngonda, qui compte désormais des millions d’auditeurs sur les plateformes, a percé grâce à son premier album à succès, Come Around and Love Me, publié il y a 2 ans par le label soul Daptone, et qui a connu un grand succès critique et public au Royaume-Uni, ainsi que – notamment – aux Etats-Unis. Le chanteur va puiser largement dedans, tout en jouant trois singles sortis depuis, et transformant l’essai (Anyone In Love, Illusions, Just As Long as We’re Together). Dans un registre soul « à l’ancienne », il est tout simplement ce qui se fait de mieux en ce moment, convoquant les ombres de Marvin Gaye mais aussi Nina Simone, dont les montées dans les aigus et les variations émotionnelles dans la voix sont capables de tout emporter sur son passage. Une star du futur, qui l’est déjà un peu.

L’homme a un parcours peu banal : originaire du Maryland, où il a été élevé dans une famille mélomane qui lui a fait découvrir notamment les disques Motown, Jalen Ngonda est parti étudier au Liverpool Institute for Performing Arts, et s’est installé dans la cité des Beatles et des Reds il y a une dizaine d’années. Un pedigree idéal pour se poser en héritier de la brit soul, réappropriation à la sauce britannique de la soul américaine, mais l’homme, entré sur scène au son du chanteur soul-funk américain des 60s et 70s Lee Dorsey, se pose plutôt en héritier pur de la soul américaine « historique » dans l’immédiat, avec pour principal instrument sa voix, portant des textes universels, sur l’amour en premier lieu. Et quelle voix : impossible de ne pas se dire cela en l’écoutant entonner That’s All I Wanted From You, le titre d’ouverture de ce concert carré d’une heure, sans fioritures, où tout paraît simple et parfaitement exécuté.

 

La Défense Jazz Festival - Jalen Ngonda
La Défense Jazz Festival – Jalen Ngonda – Photo : Franck BENEDETTO

Il en faut pourtant, du talent et de l’intelligence, pour créer d’aussi belles chansons, dont certains classiques immédiats (Come Around and Love Me et If You Don’t Want My Love, sa chanson la plus streamée et qui conclut ses sets), pour les chanter en utilisant différents registres vocaux dont un fabuleux falsetto, pour les arranger et piloter sur scène un groupe de six musiciens. Outre Ngonda, chantant et jouant la plupart du temps à la guitare, parfois au piano, son groupe compte en effet Adam Rust aux claviers, capable de glisser à la guitare (quand Ngonda l’abandonne), les frères McKone à la section rythmique (Ben McKone à la batterie et James McKone à la basse), Fabio de Oliveira aux percussions et cymbales, et deux choristes, Friday Touray et Holly Quin-Ankrah.

Pas le temps de souffler que Ngonda et son groupe ont déjà dévalé trois chansons en dix minutes. Après la courte Rapture, Don’t You Remember offre au chanteur une première occasion d’utiliser sa voix de falsetto, What a Difference She Made est dédié en clin d’œil à « toutes les filles aux cheveux bouclés » (Girls with curly hair) car le musicien sait aussi interagir avec le public, et même lui demander avec succès de chanter le refrain de Give Me Another Day, envolée soul portée par le duo de choristes. Vient alors ce qui pourrait être le ventre mou du concert, à la demi-heure de jeu, mais non, Ngonda ne va pas ralentir, il va même accélérer : avec Come Around and Love Me, son premier tube, où il bascule au piano, puis tombe la chemise en jean (en effet un peu superflue par 30 degrés). Dans cette deuxième partie de concert sans répit, on retiendra deux très bons singles récents, Just As Long We’re Together et Illusions (dédiée à tous ceux qui sont désillusionnés), une envolée vocale à la Nina Simone sur Doctrine of Love (un inédit semble-t-il, joué sur très peu de dates), ou encore la sucrerie pop I Need You. Car Ngonda a une écriture pop, resserrée, avec des formats couplets-refrains et des durées très pop (3 mn environ, au grand maximum 4), ses chansons flirtent parfois musicalement avec… et a donc aussi tout pour plaire à un public plus rock ou pop-rock / rock indé ― votre serviteur en est la preuve !

 

La Défense Jazz Festival - Jalen Ngonda
La Défense Jazz Festival – Jalen Ngonda – Franck BENEDETTO

Pour conclure ce set de 13 chansons, sans rappel (c’est un festival, et le rappel n’y est donc pas « obligatoire »), le chanteur renvoie son groupe faire une pause pour honorer seul au piano une reprise de Dusty Springfield, The Look of Love, clin d’œil à la britsoul (destiné à brouiller les pistes ?), avant que d’achever en beauté et en groupe avec If You Don’t Want My Love, son plus gros tube. Comme les autres chansons, celle-ci n’est pas « surjouée », on est pros ici, et on termine pile à l’heure (21h15) après une heure de set, en saluant en souriant, alors que le soleil commence enfin à oublier son agressivité. Ce serait finalement la réserve que l’on pourrait avoir : tout à leur efficacité, Ngonda et son groupe, pourraient entraîner encore plus leur public. Mais nul doute que, avec l’expérience et un peu plus de temps, comme sans doute à la Villette fin août, cela viendra…

Au moment de quitter le panorama des hautes tours, nous reviennent les mots du chanteur américain, britannique d’adoption. « Je ne connaissais pas cette partie de Paris », avait-il ironisé en évoquant une impression « d’atterrir » dans ce quartier de tours, mais content de l’accueil généreux et bon enfant réservé à sa prestation, une musique qui sonne comme la bande-son du moment et de la météo de l’époque (et en essayant de mettre de côté les interrogations et humeurs liées à l’actualité particulièrement anxiogène). Car oui, Jalen Ngonda, comme son compère Joel Culpepper en première partie, pourraient être remboursés par la Sécurité sociale, pour tous les frais qu’ils évitent en ce moment en matière de santé mentale. Merci à eux pour leur énergie positive, d’autant plus précieuse en ces temps troublés !

Jérôme Barbarossa
Photos : Franck Benedetto / Paul Lardet (merci à eux !)

Jalen Ngonda à La Défense Jazz Festival, Esplanade de La Défense
Le 24 juin 2025

Le Festival Jazz à La Défense a lieu jusqu’au 29 juin, jour où se produiront Gauthier Toux Photons et Herbie Hancock
Plus d’informations : https://ladefensejazzfestival.hauts-de-seine.fr/

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