Après un premier album qui préfigurait la nouvelle voie que Catarsi Apotropaica inaugure, on ne peut qu’être poussé par la curiosité que provoque ces 5 titres, chacun dans un registre distinct. Très prometteur, on attend son deuxième album avec impatience.
Le fonctionnalisme a rendu ce monde ennuyeux, les succursales contemporaines de l’industrie musicale cherchent à cacher dans des tiroirs les derniers îlots de l’expression libre et ricanent en catimini, à la seule perspective de vous asséner leur passion du futile. À rebours des axiomes du profit, il convient de publier, contre toute attente, des artistes qui véhiculent une vision personnelle, celle d’une musique authentique, ancrée dans une démarche d’abnégation.
Dans ce refoulement continuel vers la périphérie, vers la marge, le ressac laisse apparaître, pour le plus grand bonheur des défricheurs, des trésors inestimables. Thalie Nemesis s’inscrit déjà depuis plusieurs années comme une pierre précieuse, taillée pour s’incorporer dans un écrin sur mesure. Sa musique indélébile est remarquable par ses aspects impétueux, sa véracité troublante et déstabilisante. Non qu’il soit question de provoquer, ou de théâtraliser le spectre de ses émotions, Catarsi Apotroppaica, est à considérer comme un monument traduisant une certaine prudence à l’égard de ce monde vénéneux.
Au-delà des apparences, Thalie Nemesis a recours à des codes inhabituels, symbolisés dans A Barbaric Language, titre phare de cet EP. Emblématique du fait de son contenu pénétrant, hautement obsédant par ses riffs et sa charpente industrielle, le titre redéfinit la linguistique, le sujet de la civilisation actuelle est remis en question pour son amnésie, réminiscence d’une diaspora chargée d’histoires transmises dans le temps. On peut justement entendre des instruments comme le Duduk, dont la sonorité évoque ceux et celles qui ont été effacés par le mal absolu, qu’il faut combattre à tout instant. Les mythes ressurgissent, même quand la volonté est de les enterrer. La tristesse a perdu sa cause, thématique qu’Emma Ruth Rundle et Chelsea Wolfe ont exprimé d’une même voix. Thalie Némesis aborde cette perte afin de lui redonner sa signification dans notre monde normalisé. Acedia is my partner in crime est une profonde introspection, le double et le masque unifiés en une seule entité. La descente se fait lente, la charge musicale a besoin d’intégrer le corps, le chant se répartit distinctivement dans une structure en constante évolution.
L’Ep prend une autre tournure avec le titre A demi-mots, et ses incartades électro, mais surtout dans Cassandra (le baiser de la fin) où se télescopent des lambeaux de réalité dans un bouquet de noirceur, avec des figures antiques et modernes.
Cartasi Appotroppaica est un recueil de compositions qui évite la facticité des sentiments. Nous faut-il croire aux légendes ? Dans le cas présent, Thalie Nemesis nous incite à franchir le seuil de nos connaissances, à dépasser les peurs, à retrouver cette part manquante de notre potentiel inconscient.
Franck Irle