Electric Miles, c’est la BD événement de l’année 2025, par un duo qui transforme en or tout ce qu’il touche. L’introduction d’une série qui promet de nous emmener dans des sphères mentales interdites. A vos risques et périls !

C’est l’histoire d’un livre secret, qui n’a jamais été publié et pourrait changer la face de l’humanité. Mais les seuls à en avoir lu une épreuve sont devenus fous ou se sont suicidés. Son auteur, Wilbur H. Arbogast, s’est ainsi refusé à le voir éditer. Après avoir publié des nouvelles pour un magazine de science-fiction, l’homme n’a rien écrit depuis cinq ans et tente de survivre avec sa maigre pension d’invalide de guerre. Un agent littéraire, Morris Millman, admirateur de l’écrivain, aimerait le prendre sous son aile et le persuader de publier le livre en question. Mais il lui va falloir se montrer convaincant face aux réserves exprimées par Arbogast…
Depuis l’excellente série Tyler Cross, la sortie d’un album du duo Nury-Brüno fait figure d’événement, et Electric Miles ne déroge pas à la règle. De plus, il s’agit ici du premier tome d’une série qui réussit à nous mettre en appétit, je dirais même plus, « en état de fringale »…
Si le titre et la couverture de cette nouvelle série tant attendue de Fabien Nury, prolifique et brillant scénariste de la planète du neuvième art, et de Brüno, tout aussi brillant dans son dessin, sont assez mystérieux, son contenu est à l’avenant. Dès les premières pages, on découvre un écrivain ténébreux, Wilbur H. Arbogast, qui raconte à l’agent littéraire qui l’a contacté, comment son expérience de mort imminente l’a conduit à écrire un livre qui comportait trop de danger pour être publié. Les rares lecteurs du monde de l’édition qui s’y sont risqués seraient devenus fous ou auraient mis fin à leurs jours. L’accroche fonctionne à merveille et le lecteur est immédiatement embarqué dans ce récit oscillant entre le polar noir et un onirisme mystique saupoudré de science-fiction.
L’action se situe dans les États-Unis de la fin des années 40, mais si on doit parler de polar, le suspense est plutôt d’ordre psychologique puisqu’ici, il n’est aucunement question de coups de feu ou de course-poursuite. Et c’est ce fameux livre secret qui sera au centre de l’histoire, donnant lieu à une plongée dans le monde de l’édition et du cinéma. Flairant le bon coup, les pontes d’Hollywood aimeraient, sans même l’avoir lu, le voir porté sur les écrans à coup de marketing vulgaire et survitaminé, provoquant dans un premier temps la colère et la fuite de l’écrivain. Mais les assauts de l’agent littéraire ont réveillé chez lui une sorte de folie ténébreuse : Arbogast a décidé de créer sa propre religion !
Dans ce tome introductif qui donne lieu à quelques digressions où Aborgast évoque notamment un passage de la Bible (comment Paul de Tarse est devenu disciple après avoir persécuté les premiers Chrétiens) ou pratique une séance de « psychogénie », curieux mélange d’hypnose et de psychanalyse, sur l’épouse de Morris Millman, on peut supposer que ce qui apparaît un peu comme un puzzle trouvera ses pièces manquantes dans le(s) tome(s) suivant(s), suggérant, peut-être, un lien avec Les Portes de la perception décrites par Aldous Huxley, mais de manière plus ironique, on peut y voir surtout une allusion au gourou-fondateur de la scientologie Ron Hubbard et sa dianétique.

Le personnage principal correspond au profil classique de l’écrivain ténébreux et taiseux, un peu loser et revenu de tout. Mais dans le cas présent, Wilbur H. Argobast est au moins revenu d’entre les morts et semble avoir vu des choses trop difficiles (ou trop dangereuses, vraiment ?) à appréhender pour l’esprit humain… On peut apprécier également l’autre protagoniste, l’agent littéraire Morris Millman, qui révèle au fil des pages ses doutes et ses failles, alors qu’on pensait avoir affaire à un homme vénal et obséquieux.
Fidèle à sa ligne claire cinématographique qu’on apprécie tant, Brüno parvient à nous immerger dans le récit avec une ambiance noire et poisseuse en mode hardboiled, avec éclairs et orages en toile de fond, même si ce n’est pas vraiment le même registre. Globalement, on reste dans une forme de glamour où le danger rôde, avec des échappées psychédéliques ou surréalistes qui font parfois songer à Charles Burns. Mais ça reste du Brüno, et on ne saurait lui en vouloir, parce que si on peut apprécier chez certains auteurs une approche stylistique évolutive, on n’aimerait pas que ça change chez lui. Brüno, lui, a trouvé ses marques et c’est puissant. C’est certain, son trait immédiatement reconnaissable a totalement pénétré son ADN.
Si donc la narration apparaît un rien disparate — mais comme on le sait, Nury ne construit pas ses récits de façon aléatoire, et chacune des séquences a sa raison d’être —, cela ne remet pas du tout en cause l’intérêt que l’on peut avoir pour dans ce premier tome et la forte envie que l’on aura à découvrir la suite. Electric Miles se place ainsi directement dans le haut du panier des BD de l’année.
Laurent Proudhon
Electric Miles, tome 1 : Wilbur
Scénario : Fabien Nury
Dessin : Brüno
Editeur : Glénat
104 pages – 20,50 € (version numérique : 14,99 €)
Parution : 2 avril 2025
Electric Miles, tome 1 — Extrait :
