Samedi, seconde et dernière journée de l’édition 2025 du Festival Levitation : le récit et les images d’une journée très chaude…

Deuxième journée au bord du Lac de Maine, avec un programme tout aussi varié que la veille, mais une certaine inquiétude par rapport aux températures plus élevées attendues dans l’après-midi.
16h00 : les festivités commencent une heure plus tôt, et c’est, de manière assez traditionnelle à Levitation, des locaux de l’étape qui ouvrent le programme. Ils s’appellent Rest Up, ils sont en format trio, et leur origine angevine annonce un important soutien familial et amical (ce qui n’aura pas manqué…). On remarque tout de suite une bonne utilisation, raisonnée, des machines, qui confère des sonorités plus contemporaines à leur post punk assez fidèle aux canons du genre. Le batteur a un jeu original, le bassiste est convaincant, et s’éclate visiblement sur les passages les plus intenses et / ou rapides (la langue tirée, ça ne trompe pas !), le chanteur-guitariste beau gosse est charismatique et tourmenté, suivant les standards du genre. Le chant, comme très souvent en France, reste le gros point faible de Rest Up. A la fin de leurs trente minutes imparties, on se dit que leur musique est finalement plus audacieuse qu’il ne paraissait de prime abord. On surveillera leur album quand il sortira.
Moralité : il ne faut pas oublier que le post punk est bel et bien mort à la fin des années 1980.
17h00 : c’est maintenant au tour des Anglais de HONESTY, « collectif » musical de Leeds. Sur scène… trois endives britanniques font des bruits parfois rythmés, parfois non, avec leurs machines. L’une des endives, clope au bec, chante avec le désespoir morne d’un jeune Robert Smith qui n’aurait jamais réussi à composer une chanson. Heureusement – et c’est là que le terme « collectif » prend tout son sens et son importance, ils sont dépannés sur deux morceaux par un rappeur compatissant, qui tente (et réussit presque) de mettre un peu de vie là-dedans. Mais après, ça continue. Sous 30 degrés minimum, une partie du public dodeline de la tête. A un moment, en regardant les mouvements hasardeux et peu convaincus de ceux qui se dandinent sur la fine couche de boue qui s’est formée après l’arrosage du sol (une très bonne idée pour éviter la poussière terrible de la veille), on a un peu l’impression d’être dans un remake angevin et fauché de The Walking Dead. Heureusement, comme les mecs sur scène – qu’on évitera de qualifier de « musiciens » – s’emmerdent autant que nous, ils arrêtent leur cirque 10 minutes avant l’heure prévue.
Moralité : n’est pas Massive Attack qui veut.
18h10 : Heartworms, l’un des sets que nous attendons le plus aujourd’hui… même si, autour de nous, tout le monde ne partage pas a priori notre enthousiasme. La chaleur culmine, ce qui n’est pas idéal pour le rock gothique de Jojo Orme, qui apparaît quand même enveloppée d’un long manteau noir sur scène. Nous ne lui en aurions pas voulu de rester en t-shirt comme pendant le soundcheck, d’autant que le sien, noir bien entendu, portait le slogan « Ce sont les filles qui ont inventé le punk rock » (Bien vu !). Le set commence comme l’album (Glutton for Punishment) par le sublime In The Beginning, et on sait tout de suite que « ça va le faire », et ce d’autant qu’une partie du public de Levitation répond bien au jeu théâtral de Jojo, et aux pics d’intensité électrique offerts par les deux musiciens (un guitariste et un batteur) l’accompagnant. La setlist, avec sept titres de l’album et trois titres de l’EP et d’un single de 2023, est impeccable, le son est bon, même si l’on regrettera une voix parfois sous-mixée. Pendant les morceaux plus calmes, plus introspectifs, cette faiblesse fera que certains s’ennuieront un peu et bavarderont sans trop se préoccuper s’ils gênent le reste de l’auditoire. Le final du set sera très intense avec l’enchaînement de Warplane – remarquable tuerie – et de Jacked. Avec ce juste mélange de rock gothique classique et d’électro, et grâce au talent de chanteuse et de performer de Jojo, le succès de Heartworms devrait peu à peu prendre de l’ampleur. On aura cru reconnaître pendant le soundcheck quelques mesures de Lucretia My Reflection des Sisters of Mercy, qui en aurait laissé espérer une reprise. Mais après tout, nous avons peut-être pris nos désirs pour des réalités.
Moralité : mieux vaut jouer du surf rock en maillot de bain que du goth rock en manteau pendant une canicule.
19h25 : Voici maintenant bdrmm, le groupe anglais qui « monte » en ce moment, en mêlant shoegaze (un genre très populaire auprès des jeunes, et c’est très bien…) et électro, ce qui s’avère décidément ne pas être une mauvaise idée. Leur set de 45 minutes, qui démarre en terrain connu avec un Push/Pull à la magie shoegaze « classique », s’aventurera dans des contrées moins balisées : il connaîtra bien quelques temps (un peu plus) faibles, mais rayonnera grâce à des points forts plutôt renversants. Et puis, il faut souligner que bdrmm est un groupe extrêmement sympathique, ce qui ne gâche rien : Jordan Smith, le bassiste, sait mettre de l’ambiance d’une manière naturellement joviale, assez typique du centre et du nord de l’Angleterre (Ils viennent de Hull, comme nos regrettés Housemartins !). Certains dans le public déploreront le traitement électronique des voix – qui reste pourtant mesuré par les temps qui courent), mais ce mélange entre électronique et musique organique plutôt charnelle – tout en restant rêveuse – fait le charme du groupe. A noter que la jeune femme à la batterie souffrira visiblement de la chaleur, mais ce sera charmant de la voir soulevée par Jordan et emmenée hors de scène à la fin du set. Des gens cools qui font de la bonne musique, what else?
Moralité : buvons de l’eau de Hull, car elle rend les gens talentueux, joyeux et aimables !
20h50 : Bryan’s Magic Tears, ce serait un peu « notre groupe shoegaze à nous, en France », comme crie un fan terrassé par sa joie ? Nous, on les qualifierait désormais plus de groupe psych-rock ou de pop hallucinée version mancunienne, que de pur shoegaze, en fait… Mais peu importent les étiquettes, ils vont remporter ce soir à Angers un vrai gros succès populaire, bien mérité depuis le temps qu’ils bossent sur leur musique. Le set démarre par un Side by Side remarquable (extrait de leur dernier album) qui laisse bien présager de la suite – mais qui finalement ne sera pas vraiment égalé ! Ce dernier album (Smoke & Mirrors) sera à l’honneur puisque 7 titres en seront joués, ce qui nous prive probablement de morceaux plus connus, comme les « classiques » que sont Slamino Days et Happy and Tired interprétés en final, à la joie générale.
On peut regretter que Benjamin Dupont ait toujours autant de talent pour tirer la tronche, mais on remarquera que Lauriane était souriante devant ce public angevin qui traitait le groupe avec autant de ferveur (comme un groupe local, pourrait-on dire !). Si la musique de Bryan’s Magic Tears a pris un virage plus mélodique, plus « pop », donc, le plaisir reste intense quand les trois guitares se déchaînent. Si l’on devait mettre un bémol, on noterait que le groupe manque de morceaux emblématiques, fédérateurs, qui leur permettraient de sortir franchement de « l’underground », et de passer à l’étape supérieure en termes de popularité.
Moralité : à force de regarder ses chaussures, on peut oublier de sourire au public.
22h20 : puisque, fatigués et devant rentrer sur Paris tôt le matin suivant, nous ne resterons pas écouter Boy Harsher, le festival se terminera pour nous avec The Limiñanas, ce qui n’est pas vraiment une frustration puisque c’est eux que nous sommes venus voir ce samedi, avant tout.
La nuit est tombée, la chaleur de l’après-midi s’est estompée, l’éclairage de la scène est magnifique, même s’il ne facilite pas les photos, les musiciens étant – et restant pendant à peu près toute l’heure du set – des silhouettes sombres sur un fond rouge, le son est impeccable (même si l’on n’aurait pas dit non à un volume sonore un peu plus élevé !) : tout est prêt pour un set idéal des Limiñanas… Tout sauf une bande de bourrins éméchés, qui vont injecter une violence bien inappropriée au milieu du public, au risque de gâcher le plaisir de tout le monde. Et ce d’autant que le service d’ordre, peu habitué visiblement à ce genre de circonstances, aura du mal à gérer les débordements… qui, resteront, heureusement, circonscrits.
Le set démarre doucement par des titres du nouvel album, forcément moins connus du public, et c’est l’ami Keith Streng – le légendaire guitariste des non moins légendaires Fleshtones qui tourne en ce moment avec les Limiñanas – qui fait le show à lui tout seul, déployant à 70 ans une énergie et une agilité physique que bien des adolescents lui envieront, mais également une malice qui fait littéralement du bien : quelle addition bienvenue à la troupe des Limiñanas, même s’il tranche par son style flamboyant avec la sobriété et la discrétion du reste des musiciens ! Une autre recrue de poids, c’est Tom Gorman au chant : le frontman de Kill The Young (… mais existent-ils toujours ?) est un chanteur parfait pour mettre en avant, et même magnifier, les aspects les plus garage rock du groupe de Cabestany.
L’hyper classique Down Underground, puis le fameux « Tu veux un cachou ? Non, merci je ne suis pas très drogue ! » nous ramènent, tout heureux, dans l’atmosphère très sixties que Lionel et Marie Limiñana aiment à évoquer, mais avec l’humour qu’on leur connaît. C’est là que la fosse se déchaîne, sur une musique qui évoque plutôt le plaisir et la nostalgie élégante que le punk rock agressif : bon, il faudra faire avec… Ce sont, logiquement, les titres du formidable Shadow People qui vont porter le set à l’incandescence (le titre éponyme, magique, puis The Gift – qui fonctionne sans la basse de Peter Hook – et enfin Istanbul Is Sleepy, puissant), mais, pour nous, la superbe reprise du TV Set des Cramps fera basculer le concert vers l’excellence – Tom Gorman faisant même une incarnation crédible de Lux Interior ! Et puis vient, un peu tardivement peut-être dans une setlist plutôt « rock efficace », ce qu’on attend le plus avec les Limiñanas, un long fleuve d’électricité, une transe hypnotique, une dizaine de minutes de bonheur sonore absolu. Avec une véritable hystérie finale qui nous laisse pantois. Et rassurés : The Limiñanas sont toujours au sommet ! Et terminent notre festival de la plus belle manière possible. Merci Marie, merci Lionel !
Moralité : pour léviter, il faut atteindre la transe.
A l’année prochaine !
Rest Up
HONESTY
Heartworms
bdrmm
Bryan’s Magic Tears
The Limiñanas
Eric Debarnot
Photos : Eric Debarnot / Mickael Liblin – LEVITATION FRANCE (lorsqu’indiqué)