[Live Review] Sparks et Sam Sauvage à la Salle Pleyel : « So may we start (again) ? »

Ron et Russell Mael étaient lundi soir à Pleyel, et la salle était comble de fans pour toujours énamourés de ce groupe hors du commun qu’est Sparks. Bien entendu, la soirée a été parfaite, et on vous la raconte…

2025 06 30 Sparks Salle Pleyel LM (7)
Sparks à la Salle Pleyel – Photo : Laetitia Marvel

S’il est une question qui se pose, logiquement, de plus en plus, c’est celui de la « fin de vie » des artistes et des groupes, en particulier de tous ceux qui ont fait, dans les années 60 et 70, du Rock la musique de plusieurs générations successives, avant son étiolement commercial et populaire au cours des vingt dernières années. On parle de « fin de vie » au niveau artistique, voire métaphorique, puisque, évidemment, la santé, le patrimoine génétique et les expériences (parfois extrêmes) de chacun, déterminent la longévité de chacune et chacun, sans qu’on puisse y faire grand-chose. Mais bon, même si le dernier grand album des Stones remonte à plusieurs décennies, on va toujours les voir avec plaisir sur scène, et pas seulement par nostalgie : Jagger, en particulier, est toujours, à 82 ans, un grand showman. Même chose pour Iggy, dont la créativité s’est épuisée depuis longtemps, qui reste pour toujours (?) l’ultime « rock’n’roll animal » (désolé, Lou !).

2025 06 30 Sparks Salle Pleyel LM (5)Le problème que pose Sparks est plus complexe. Car Ron Mael, dont on peut penser qu’il est l’un des plus grands compositeurs de l’histoire du Rock, vient d’atteindre les quatre-vingts ans, sans aucun affaiblissement perceptible de sa capacité à écrire de grandes chansons. Et le dernier album de Sparks, MAD!, en renferme plusieurs, comme les quatre ou cinq disques précédents du duo, de ces chansons qui n’ont pas à rougir de la comparaison avec celles que Ron écrivait en 1972, il y a plus de cinquante ans. Car Russell, son frère le showman, arrive encore à monter – à 77 ans – dans les aigus de manière convaincante, tout en parcourant de long en large les scènes du monde. Est-ce qu’il est bien raisonnable de notre part d’attendre un nouvel album des frères Mael tous les deux ou trois ans avec autant d’excitation que quand nous avions 20 ans ? Et d’aller à leurs concerts, alors que leur popularité a à nouveau « explosé » depuis une dizaine d’années, en espérant d’eux de nouveaux miracles ? Et ce, d’autant que, nous-mêmes, ne sommes plus de la première fraîcheur…

Impossible de ne pas avoir ce genre de doutes à l’esprit en faisant la queue devant la salle Pleyel, avec des numéros de file d’attente écrits au marqueur sur les mains par le fan club gérant les arrivants en provenance de nombreux pays d’Europe : pas assez de gens vraiment jeunes dans l’assistance, et puis, quand le set débute, la constatation – inévitable – que Russell s’est un peu empâté depuis le Grand Rex, il y a deux ans, et que Ron semble plus frêle que jamais derrière ses claviers. Et pourtant, pourtant, trois heures plus tard, les interrogations auront quasiment disparu, tant Sparks nous auront, une fois encore, donné exactement ce que nous attendions : une vingtaine de chansons pas loin de la perfection, jouées avec fougue, passion, avec le soutien solide d’un groupe – un vrai groupe de Rock – bien plus jeune, et en admiration éperdue devant les frères (à la fin, ils s’agenouillent pour vénérer, telle une divinité impensable, le génie de Ron…). Le tout avec un mélange d’humilité (peut-être feinte, mais on y croit) et de générosité qui n’appartient qu’à Ron et Russell.

2025 06 30 Sam Sauvage Salle Pleyel LM (1)20h00 : avant, il ne faut pas oublier Sam Sauvage, un drôle de lascar dont on ne sait pas exactement quoi penser (et ça, c’est un bon point !). On peut détester son côté Charles Aznavour, voire Gilbert Bécaud pour les « 100.000 volts », son maniérisme rigolard de dandy qui fait très rive gauche des années 60, 70. On peut aimer son idée étonnante de moderniser cette « chanson française » facilement ringarde, à coup de claviers et de guitare électrique, en sautant partout comme le ferait un rocker « standard ». Difficile de savoir si ce qu’il fait est ridicule ou bouleversant, impossible pourtant de ne pas être intrigué devant cet hurluberlu qui semble venir d’une autre époque, et qui nous parle pourtant si justement de 2025 : la preuve, celle qui a réellement fait germer le doute dans notre esprit, cette incroyable chanson donnant la parole à un SDF faisant la manche dans le métro. Tout d’un coup, on n’avait plus du tout envie de rigoler. Et ça, finalement, ça n’a pas de prix.

21h00 : la scène est largement dégagée pour que Russell puisse la parcourir dans tous les sens, avec le clavier minimaliste (« Ronald ») de Ron au milieu, et le groupe – deux guitares, une basse, une batterie – relégué à l’arrière-plan (… mais pourtant très présent pendant tout le set). Immédiatement, on perçoit que le son est fort et clair, excellent, et que les lumières, à la mode d’aujourd’hui, sont limitées et « difficiles » (Bon, on sait que Ron et Russell n’aiment pas les photos !). Ce sera l’essence de notre soirée : une orchestration puissante, Rock, même sur les morceaux électro et / ou pop, Russell à l’ouvrage à chacune des quelques cent minutes du set, et Ron au milieu, en grand maître orchestrant notre plaisir au fil de SES chansons parfaites.

Finalement, la seule bonne question à se poser à un concert de Sparks est « quelle sera la setlist ? ». On sait qu’on aura droit à quelques extraits du dernier album – car les frères Mael regardent obstinément vers l’avenir -, en l’occurrence ce MAD! écrit et chanté dans un état de colère inédit chez Sparks (« l’effet Trump », qui sera suggéré sans trop insister quand il s’agira d’expliquer l’urgence croissante derrière la chanson Don’t Fuck Up My World). On aura forcément quelques hits universels, en fait toujours les mêmes : The Number One Song in Heaven, When Do I Get to Sing « My Way », Music That You Can Dance To, et bien entendu This Town Ain’t Big Enough For Both of Us.

2025 06 30 Sparks Salle Pleyel LM (3)

L’intérêt d’un concert de Sparks vient plutôt du reste, c’est-à-dire les bijoux exhumés, ces titres extraits d’albums moins connus du groupe, ou même oubliés sauf par les fans les plus hardcore. Ce soir nous aurons droit à Academy Award Performance, l’un des rares morceaux négligés de No. 1 in Heaven, à Goofing Off, tiré de l’un des pires disques de Sparks, Introducing… (bien que nous lui connaissions des adeptes), et All You Ever Think About Sex, de In Outer Space : trois chansons magnifiées par les versions qui en seront proposées ce soir, et qu’on est obligé de réévaluer, du coup.

2025 06 30 Sparks Salle Pleyel LM (8)Sinon, l’ouverture du set se fera sur la classique introduction d’Annette (So May We Start) et la fermeture du rappel sur l’incontournable et sublime All That (un peu le Hey Jude de Ron Mael, pour faire le parallèle avec un autre maître des mélodies… sauf que All That est une trouvaille de génie qui n’a que cinq ans !). Et les deux moments les plus forts seront sans doute une version surpuissante de The Number One Song in Heaven, l’une des meilleures entendues sur scène, gracieusement honorée par quelques pas de danse de Ron, qui se fatiguera vite (!), et une interprétation également très rock d’un morceau assez étrange de MAD!, Running Up a Tab at the Hotel for the Fab.

Les nombreux admirateurs de Ron auront droit cette fois à une chanson quasiment entièrement « chantée » (parlée, en fait) par lui, Suburban Homeboy, et on sent que Russell fait tout son possible pour que son frère soit mis en valeur comme il le mérite, maintenant que le groupe connait enfin un succès conséquent, avec un public fidèle et passionné (il suffisait de voir le pourcentage de spectateurs portant un T-shirt Sparks dans la salle !). Ce qui nous amène au moment des « adieux », pardon des « au revoir » puisque Russell nous promet un prompt retour sur scène à Paris : un moment qui s’éternise toujours plus longtemps qu’il n’est de coutume avec les frères Mael, comme s’ils essayaient à chaque fois de s’imprégner de tout l’amour que leur public leur offre. Pour y puiser sans doute cette force (surhumaine ?) qui leur permet de continuer. A bosser, à composer, à enregistrer, à tourner, au maximum de leurs moyens à un âge où tant d’autres musiciens soit ont abandonné, soit n’ont plus rien de nouveau à offrir.

« So May We Start (again) ? » : une question que l’on rêve d’entendre le plus longtemps possible posée sur une scène parisienne.

Eric Debarnot
Photographies : Laetitia Mavrel

Sparks à la Salle Pleyel
Production : Alias
Date : le 30 juin 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.