On partait plutôt enthousiaste à l’idée de voir le premier blockbuster de l’été, F1, réalisé par un Kosinski qui avait fait un beau travail pour Tom Cruise et son Top Gun : Maverick. Hélas, il a nous a fallu déchanter devant une véritable aberration qui ridiculise l’univers de la Formule 1.

Il y a trois ans, contre toute attente, on avait bien aimé Top Gun : Maverick, qui avait consolidé le règne de Tom Cruise sur le blockbuster US « traditionnel » : le travail du réalisateur, Joseph Kosinski, tout entier au service du film et de sa vedette, était sans nul doute pour beaucoup dans la « réussite » (on se comprend, on n’utilise pas les mêmes critères d’évaluation pour ce genre de produit commercial que pour le reste du cinéma…) du film. L’idée de donner une chance à ce reboot de Days of Thunder, en remplaçant Tom Cruise par le toujours charmant Brad Pitt, et le jeune chien fou de l’original par un vieux briscard retors, n’avait donc rien d’inquiétant a priori, même si son placement sous la franchise des jeux vidéos F1® (sous licence officielle FOA !) confirmait clairement les ambitions des producteurs, dont l’ineffable – et incontournable dans ce domaine très « pointu » – Jerry Bruckheimer.
Il nous faut hélas déchanter rapidement, dès le début du film, qui pousse tous les curseurs de l’objet publicitaire – clinquant, superficiel, saturé de codes visuels et sonores purement commerciaux – dans le rouge (un travers qui avait déjà rebuté certains spectateurs de Top Gun : Maverick) : difficile, voire impossible, d’adhérer à cet univers d’une artificialité totale, comme à ces personnages qui ne relèvent que du cliché le plus exagéré. Entre la jeune star arrogante, le vieux pilote qui se trimballe un lourd passé traumatique, le bon pote idéaliste responsable de l’écurie, la directrice technique – femme ingénieure devant faire ses preuves dans un univers machiste – qui deviendra l’inévitable (?) « objet romantique » du film, et le financier membre du « Board » de la société qui possède l’écurie, aux machinations obscures, il n’y a pas ici un personnage crédible sur lequel porter notre attention, et encore moins notre empathie. Et ce n’est pas un problème d’interprétation, chacun faisant de son mieux pour humaniser et complexifier son rôle : même si on peut trouver Brad Pitt un peu « léger » (c’est souvent l’une de ses grandes qualités !) pour incarner un quinquagénaire au lourd passé, il n’y a rien à reprocher objectivement à Damson Idris, Javier Bardem (qu’on aimerait voir plus), Kerry Condon ou Tobias Menzies (et on a même le plaisir de revoir notre cher Kim Bodnia, porté disparu depuis Bron !). Le problème est qu’ils n’ont rien de réellement intéressant à faire, tout étant totalement prévisible dans le déroulement de l’histoire comme dans le développement des personnages.
Car le gros, gros souci de ce F1 réside dans son écriture, visiblement confiée à des états-uniens qui n’ont, sinon aucune connaissance, au moins aucun amour de la F1, et qui s’imaginent la rendre plus « intéressante » aux yeux des spectateurs de leur pays en nourrissant le scénario de coups tordus sur la piste, de machinations diaboliques, et en multipliant les accrochages matériels, voire les accidents spectaculaires aux conséquences anodines, bien entendu (pas question de tragédie ici, même pas de drame !). Quant au fait que les losers complets que sont les pilotes de l’écurie arriveront à triompher lors de l’épreuve finale, n’en parlons même pas : c’est littéralement inscrit dans l’ADN d’un tel film. Reste que, si l’on repense au magnifique Rush de Ron Howard en 2013, ou, plus près de nous, à la non moins magnifique série Senna de Netflix Brésil, F1 fait vraiment « mal », se ridiculise complètement, et ridiculise en même temps le sport qu’il est sensé « célébrer ».
On nous rétorquera sans doute que les images des courses sont belles, spectaculaires (le film doit paraît-il être vu en Imax), et que F1 propose une plongée intéressante dans la technique du pilotage comme dans la technologie la plus avancée de la F1 d’aujourd’hui et de demain. Bon, on veut bien, mais les belles images ont justement un côté « digital » qui les décrédibilise, les déréalise, tandis que la fascination pour la technologie de pointe que le film déploie est surtout un symptôme de l’ivresse contemporaine des USA pour leur soi-disant supériorité technologique, avant tout militaire, d’ailleurs.
Eric Debarnot