Que vous soyez catholique, croyant ou athée, cette mystérieuse histoire – ces fameux trois jours où Jésus a été enterré avant de ressusciter –, portée par une narration réussie et l’imagination fertile de Thierry Robin, ne manquera pas non seulement de vous interpeler, mais aussi de vous séduire.

« Jésus-Christ (…) est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts » selon le Credo, symbole des apôtres. Tous ceux qui ont été baptisés connaissent cette formule, mais qui s’interroge vraiment sur sa véracité et sa signification, hormis les cercles théologiques ? Que disent les textes et que sait-on vraiment sur cette période de trois jours durant laquelle Jésus a disparu ? Thierry Robin a saisi l’occasion pour produire cette BD étonnante où La Bible prend des allures de récit fantastique.
Que les choses soient claires, je ne suis pas particulièrement intéressé par les questions religieuses. Je ne suis catholique que par baptême et ne crois pas en l’existence d’un dieu, surtout pas celui auquel on m’a demandé de croire, vous savez, le vieux type à barbe blanche pas toujours sympa qui promet l’enfer et les flammes à quiconque qui s’écarte du « droit chemin ». La Bible a toujours été pour moi un conte destiné aux enfants dociles, une fiction truffée de propos culpabilisant, rédigée sur plusieurs siècles d’après des rumeurs et dont on ne connaît même pas les auteurs, souvent utilisée par ses promoteurs pour domestiquer les esprits et asseoir leur pouvoir. Je caricature peut-être mais globalement, c’est ainsi que je vois les choses.
Je pense pourtant être ouvert d’esprit mais ce pavé qu’est La Bible m’a toujours paru rébarbatif et quelque peu obscur. Je ne la connais que par les citations entendues çà et là, notamment à l’église lorsqu’enfant on m’obligeait à assister à la messe. J’ai cependant voulu tenter ce Jésus aux enfers, peut-être parce qu’au fond de moi, l’enfer m’a toujours interrogé voire un peu effrayé (on n’échappe jamais totalement à son éducation), mais également en raison de son volume beaucoup plus raisonnable (120 pages !).
Comme il le dit en préface, Thierry Robin a toujours « caressé le projet de raconter (…) l’aventure de l’écriture des Evangiles ». C’est lors de travaux préparatoires qu’il a découvert l’évangile de Nicomède, où est raconté la descente aux enfers de Jésus. Mais curieusement, cet évangile semble avoir été délaissé, considéré comme fantaisiste et peu crédible… Paradoxalement, il est pourtant évoqué dans le fameux Credo, récité par les Chrétiens du monde entier, de façon brève certes, mais au final, bien malin celui qui arriverait à interpréter avec précision cette « sainte écriture », qui ouvre la voie à toutes les spéculations.
C’est ainsi que Thierry Robin s’est emparé de ce « passage silencieux de trois jours », attiré par les éléments fantastiques de l’évangile en question, mais aussi par le portrait inédit et plein d’humanité qui a été fait du Christ.
Pour un mécréant comme moi, qui n’avait retenu que la fable de la crucifixion, mais se mélangeait les pinceaux dès qu’on lui parlait de Pâques ou de l’Ascension, qui à mes yeux représentaient surtout un jour de repos pour le salarié que je suis (rare point positif pour lequel je peux me dire reconnaissant envers la religion), je dois avouer que ce récit a clarifié pas mal de choses, dont par ailleurs je m’étais toujours contrefoutu comme de ma première communion.
Thierry Robin a réussi là quelque chose de peu ordinaire. Il a élaboré une œuvre moderne à partir de « textes sacrés » tombés dans l’oubli, textes qu’il a rendus compréhensibles au commun des mortels, sans aucune volonté de les tourner en dérision, et sans pour autant apparaître ringard. Jésus aux Enfers se lit comme une BD fantastique, alliant mythologie et heroic fantasy…
Avec un graphisme tout à fait conforme aux codes du genre, l’élégance et la finesse du trait en plus, l’auteur nous offre une mise en page très variée et souvent spectaculaire, avec une belle utilisation du noir et blanc pour les clair-obscur. Abbadon, le gardien des enfers est représenté comme un ninja, et Satan ressemble à s’y méprendre à Nosferatu. Les démons apparaissent tels des trolls polymorphes tout droit sortis du Seigneur des anneaux, dans un décor évoquant peu ou prou la Moria. Bien sûr, les échanges demeurent plus biblico-philosophiques que physiques, mais la lecture n’en est que plus fascinante, Robin n’a pas non plus cherché à la jouer blockbuster en mode bourrin, loin de là.
La rencontre finale entre Jésus et Satan est saisissante et fait presque froid dans le dos, même si Satan est dépeint de manière plutôt humaine (rappelons au passage qu’il est un ange déchu, un peu comme le fut Darth Vador avant de passer du côté obscur).
On n’est donc pas obligé d’être érudit en « sciences des religions » pour apprécier Jésus aux Enfers, et encore moins croyant ou pratiquant. La preuve en est que j’ai passé un bon moment avec cette lecture très instructive, qui je tiens à le préciser, n’a pas remis en cause mon opinion sur le christianisme — même si je reconnais le bien-fondé du message christique qui hélas n’a jamais été vraiment appliqué par nombre de ses adeptes ni empêché les guerres de religion — mais aussi toutes les religions dans leur ensemble.
Laurent Proudhon
Jésus aux Enfers
Scénario & dessin : Thierry Robin
Editeur : Soleil
120 pages – 23,75 € (version num. : 16,99 €)
Parution : 2 avril 2025
Jésus aux Enfers — Extrait :
