Dans le vingt-quatrième épisode de la série romanesque consacrée à Dave Robicheaux, l’immense James Lee Burke choisit pour la première fois de se focaliser sur Clete Purcel, le meilleur ami de Robicheaux. Malheureusement, le résultat se révèle assez inégal.

Tout a commencé il y a presque quarante ans. En 1987 paraissait aux États-Unis La Pluie de Néon, premier volume d’une série romanesque qui allait vite s’imposer comme l’une des plus essentielles de la littérature policière. Les romans de James Lee Burke consacrés à Dave Robicheaux (parmi lesquels quelques chefs d’œuvre : Black Cherry Blues, Dans la brume électrique avec les morts confédérés…) ont permis à son auteur de connaître un succès international et d’être comparé aux plus grands (à Faulkner notamment). Il faut dire que le style de James Lee Burke est unique, reconnaissable dès les premiers lignes de ses romans. Empreints de lyrisme et de violence, ses récits accordent une large place à l’évocation de la nature – La Louisiane et son bayou –, tout explorant livre après livre l’affrontement du bien et du mal.
Les connaisseurs de la série le savent bien, le torturé Robicheaux a toujours pu compter sur son ancien partenaire, Clete Purcel, ami fidèle mais imprévisible. On ne pouvait donc que se réjouir de voir James Lee Burke (qui aura 89 ans en fin d’année) proposer une nouvelle focalisation, un nouveau point de vue pour renouveler cette saga. Malheureusement, le roman ne tient pas toutes ses promesses.
Tout commence lorsque Clete découvre trois malfrats en train saccager sa Caddy Eldorado, une Cadillac à laquelle il tient beaucoup. La voiture sort tout juste d’une station de lavage et, de toute évidence, les voyous y cherchent quelque chose qui y aurait été caché. La rixe qui éclate laissera Clete inconscient. A son réveil, il est bien décidé à remonter la piste de ces criminels sans doute liés au trafic de drogue. Et il sait pouvoir compter sur son ami Dave Robicheaux, alias « Belle-Mèche ».
Comme toujours chez James Lee Burke, l’intrigue va multiplier les personnages, et plusieurs fils narratifs vont venir complexifier un point de départ pourtant assez simple. Mais on sait aussi que chez cet auteur, l’intrigue vaut en général bien moins que la description de la Louisiane et que les portraits de ses personnages, protagonistes comme antagonistes. A cet égard, Clete est parcouru de quelques fulgurances. James Lee Burke n’a pas son pareil pour évoquer un coucher de soleil, les scintillements sur les eaux du bayou ou les odeurs qui en émanent. Ajoutons qu’il est aussi un formidable dialoguiste et ce nouveau roman contient quelques très bonnes scènes au cours desquelles les personnages s’affrontent verbalement. Et la verve de Clete, son sens de la répartie sont parfaitement retranscris par l’auteur.
Malheureusement, l’intrigue est ici un peu confuse, peu originale et surtout assez répétitive, et l’on peine par moments à se passionner pour cette histoire. Pourtant, toutes les obsessions de James Lee Burke sont là. On retrouve bien sa vision biblique d’un paradis perdu souillé par les hommes et le mal dont ils sont capables. L’écrivain a ainsi souvent ajouté une dimension surnaturelle à ses romans policiers, comme dans son célèbre Dans la brume électrique avec les morts confédérés. Robicheaux y dialoguait avec les fantômes de soldats et tout le roman baignait dans une ambiance onirique fascinante. Ici, Clete est visité par le fantôme de Jeanne d’Arc, et il faut bien reconnaître que l’on a beaucoup de mal à croire à cette partie du récit.
On l’aura compris, tout en ne détonant pas dans une série absolument fondamentale, Clete est un roman en demi-teinte. S’il n’est pas mauvais (loin de là), il ne parvient pas à se hisser au niveau des sommets d’une œuvre littéraire qui en compte beaucoup. On conseillera donc aux chanceux qui ne connaissent pas encore James Lee Burke de remonter aux origines des enquêtes de Dave Robicheaux, toutes publiées aux éditions Rivages. Et l’on peut leur promettre qu’ils ne le regretteront pas.
Grégory Seyer