Photographe incontournable de la scène indé française, François Poulain a sorti le très beau Indociles, un recueil de clichés – pour certains iconiques – de groupes et de musiciens, célèbres ou inconnus, qui ont fait 20 ans de l’histoire de la musique dans l’hexagone. Un témoignage précieux de la vitalité de la musique en France, mais avant tout une merveilleuse collection de photos de concerts.
Benzine : François Poulain, qui es- tu ?
François Poulain : Je suis né en 1965, je suis photographe Rock, j’ai fait ma formation à l’Ecole des Images des Gobelins à Paris. Je jouais de la musique, j’étais passionné, j’ai rencontré l’Association Capsul’Rock montée en mars 1987 à la MJC Victor Jara de Champs-sur-Marne, après avoir joué avec mon groupe dans un tremplin en juillet 86. J’avais donné une pellicule à un mec dans la salle pour qu’il me prenne en photo sur scène, ils ont trouvé ça rigolo, et m’ont invité à venir faire des photos avec eux, j’habitais à un kilomètre à vol d’oiseau ! Ma première photo de concert, ça a été le jour de l’inauguration, j’en avais jamais faite avant… Un an plus tard, a débarqué Philippe Renaud, qui était le manager de la Mano Negra, il a vu une photo d’OTH que j’avais prise, qui était pas mal, il m’a proposé de faire des photos « chez lui », au Fahrenheit d’Issy les Moulineaux.
Jusqu’à mon départ de Paris en 98, j’ai continué à faire des photos sur les deux salles : j’ai pu brasser comme ça énormément de groupes. A Capsul’Rock, c’était uniquement des groupes français, mais au Fahrenheit, il y avait aussi des groupes étrangers… Nirvana a joué là-bas, alors que Bleach venait juste de sortir, mais moi, en bon anti-américain primaire, je n’y suis pas allé ! (Rires) Je me suis rattrapé deux ans après au Zénith, j’y étais, j’ai fait la photo pour la couverture du premier Rock Sound. Ils sont encore repassés au même Zénith deux ou trois ans plus tard pour In Utero, je voulais prendre mon pass photo, mais j’avais une exposition « Scènes de Rock en France » à Toulouse… qui a été annulée une semaine avant. C’était trop tard pour le pass photo, ce qui fait que, sur les trois passages de Nirvana à Paris, je les ai ratés deux fois : pas de bol ! (rires)
Benzine Tu as continué comme musicien ?
François : Après non, je n’ai plus joué dans des groupes, je jouais seulement chez moi de la guitare, de la basse, des claviers, un peu de batterie à un époque. En tant que photographe indépendant, c’est moi qui suis devenu père au foyer. On a eu trois enfants, je n’avais pas vraiment le temps ! Je suis tellement fan de musique que photographier ces musiciens, c’était faire partie du truc. Mais bon, je faisais ces photos « en pure perte », ça n’intéressait personne, il n’y avait pas de débouchés pour les vendre dans les journaux. Dans Best, il y avait une page sur le Rock d’Ici, Rock & Folk, le rock français, c’était pas leur came, en plus je ne faisais que du noir et blanc. Des photos en noir et blanc de groupes inconnus, j’étais un extra-terrestre. Pourtant, dans les années 90, après la sortie du bouquin Scènes de Rock en France, je suis allé voir l’ineffable Philippe Manœuvre, rédacteur de Rock & Folk, qui me dit cette phrase : « Vous avez du talent, c’est indéniable, mais je ne vais pas vous embaucher, car à chaque fois que j’embauche un photographe, il s’arrête de travailler » ! (Rires).
A partir de 1994, et après la sortie du livre, j’ai monté une première exposition, qui s’appelait aussi « Scènes de Rock en France », qui a très bien marché. Au début elle a tourné 8 mois sur douze, avant, au fil des années, que ça se réduise, puis s’arrête… C’était une expo didactique, on avait des panneaux 50×70, avec une grande photo 30×40 et à côté un texte écrit assez gros pour que les gens ne zappent pas. Elle a tourné dans une centaine de lieux en France, essentiellement des médiathèques. La première expo, je me souviens, c’était Montluçon, le lendemain de la mort de Kurt Cobain… comme quoi on y revient !
Ensuite, j’en ai monté d’autres : « Rock à Vif », « Gueules de Rock », « Grains de Scène ». Une tirée sépia, une autre coloriée par un dessinateur, E.T. Et la dernière s’appelait « Allez les Filles », un titre emprunté aux Thugs : j’ai mis 20 ans pour avoir 30 bonnes photos pour faire une expo 100% féminine, car malheureusement, les femmes étaient sous-représentées dans le Rock ! Je pensais que ça aller cartonner, mais finalement elle n’a jamais tourné, n’a jamais intéressé personne !
Benzine : Et on en arrive à Indociles, to nouveau livre…
François : Oui, à la sortie d’Indociles, j’ai remonté une expo, en changeant les codes : j’ai réduit le poids de l’exposition du fait des coûts de transport qui avaient explosé. « Indociles XXL, l’expo grand format », j’ai fait tirer ça en format 1m20 sur 80 cm pour 15 photos, et en format 60×80 pour 15 autres ; ce sont des « impressions vinyliques », en fait c’est sur des bâches – un mot qu’il ne faut pas dire (Rires)… Il y a deux œillets pour pouvoir être accrochées, elles sont légères : ça nécessite un lieu qui a beaucoup de hauteur sous plafond. L’idée est venue après une première exposition avec Archives de la Zone Mondiale, dans un festival sur deux jours à Genève. Les photos sont en argentique, mais je les ai scannées en très haute définition pour pouvoir les sortir en très grands formats… La première expo en France démarre le 14 juin au Garage L. à Fortcalquier, dans les Alpes de Haute Provence, c’est sur la route des vacances, et elle va y rester tout l’été, au sens large, jusqu’à fin septembre. L’idée est aussi d’y vendre non seulement le livre, qui est cher, mais aussi des petits tirages à 10 €…

Benzine : C’est un frein le prix des beaux livres de photos, non ?
François : Les coûts du papier ont explosé, peut-être du fait de la guerre en Ukraine, ce qui fait que les livres sont beaucoup plus chers. Maintenant, on a fait une souscription pour Indociles, il nous fallait 500 souscripteurs, on en a eu 669 !
Benzine : C’est quoi le concept d’Indociles, par rapport à Scènes de Rock en France ?
François : Scènes de Rock en France, je l’ai fait en 1993 avec Max Well, il écrivait, donc on a rajouté des petits textes qui sont devenus de plus en plus grands, ce qui a diminué la taille des photos, alors que j’en aurais voulu plus en pleine page. Le livre est devenu culte, paraît-il, alors qu’à l’époque la scène Rock Indé en France était boycottée par tous les médias, radio, télés : le seul canal était les radios libres et les fanzines.
Indociles est venu pour que les photos soient plus grandes, et imprimées avec la meilleure qualité possible. On y retrouve à peu près 30% des meilleures photos de Scènes de Rock en France, augmentées de nouvelles, puisque le sous-titre, c’est « Photographies de la scène Rock – 1987-2007 ». La dernière photo a été prise en 2007, c’est une photo des Burning Heads. J’ai été épaulé par la réalisatrice du livre, Croustine, qui a tout géré : on était très anxieux jusqu’au moment où chez l’imprimeur, on a vu que ça sortait de façon magistrale.
Benzine : Et on n’a pas compris, mais c’est quoi la logique du livre ?
François : Il n’y a pas de logique, c’est même complètement illogique, c’est un kiff de photographe, ce sont mes meilleures photos. J’ai des milliers de négatifs, il m’a fallu un an pour tous les regarder, j’en ai sélectionné 500, et on en a gardé 333. Ce n’est pas un livre qui veut être un panorama de cette scène française. Il y a des groupes dont je suis hyper fan qui n’y figurent pas, parce que je n’avais pas de bonne photo ! Dans ce bouquin, il n’y a pas d’index, parce que le concept, c’est qu’on n’y cherche pas des groupes, on y cherche des photos ! Bon, il y a plein de photos des Ludwig Von 88, des Thugs, des Sheriff, forcément, parce que je les ai beaucoup photographiés… On passe donc du coq à l’âne, des Bérurier Noir à Emilie Simon, en passant par le percussionniste de Bob Marley…
Benzine : Tu aurais quand même pu les classer par ordre chronologique, pour les maniaques comme moi !
François : Je n’y ai même pas pensé ! Non, finalement, c’est bien que ça soit anarchique, à l’image de la scène Rock Indé !
Benzine : Une dernière question, la plus difficile… Le concert de ta vie, ce serait quoi ?
François : D’abord, j’aurais aimé ne pas faire de photos pendant tous ces concerts, pour en profiter un peu plus. J’ai pas dansé, je me suis pas mis en transe, j’essayais de faire des photos dans des conditions difficiles, pas de lumières, des gens qui bougent dans tous les sens ! C’est hyper dur de faire de la photo de concerts, surtout dans les petites salles…
Bon, le concert de ma vie, c’est dur ce que tu me demandes… (Longue réflexion). On va dire, pour tout ce que ça représentait, que le concert de Bérurier Noir au Zénith en 88, ça a été une claque phénoménale. On s’est retrouvés dans une grande salle, où passaient normalement des grands groupes internationaux, et voir toute cette foule qui était venue, pour un concert à 50 Francs – on trouvait ça cher… Musicalement, je pense à un concert que j’ai dû voir en 1984, un groupe anglais que j’aime particulièrement, The Chameleons, à l’Eldorado je crois. Mais si je continue à parler, il y en a plein qui reviennent… J’en ai déjà 10 !!! (rires). Mais sinon, j’ai le souvenir de ma rencontre avec Seeco, le percussionniste de Bob Marley, une légende : un moment incroyable…
Eric Debarnot