Blonde Redhead – The Shadow of the Guest : Un délicieux plaisir estival

Le groupe new-yorkais revient avec une collection estivale de chansons un peu de bric et de broc, doucement rêveuse, qui constitue un vrai plaisir inattendu, comme une légère brise de fin de journée. Ou une glace… à l’italienne bien sûr.

Blonde Redhead
© Gus Powell

Péché mignon de l’été débutant, The Shadow of the Guest se présente d’emblée comme un gigantesque clin d’œil ravageur au mètre-étalon Sonic Youth des débuts. Si la référence aux maîtres new yorkais est évidente (Shadow of a Doubt, expression par ailleurs que l’on peut considérer reprise à Sir Hitchcock), celle-ci n’a juste plus tellement de sens après 30 ans de carrière, et on peut s’étonner qu’elle vienne de Blonde Redhead eux-mêmes. Il suffit d’écouter cette galette inattendue pour s’en convaincre. Venue prolonger leur précédent, et magnifique, effort (Sit Down for Dinner, 2023), cette ombre de l’invité n’a vraiment rien à voir ni avec le rock noisy des débuts, ni avec le rock noisy new yorkais tout court. Il s’agit en effet d’une collection de 8 titres, dont la moitié enregistrée avec une chorale, la Brooklyn Youth Choral. La pureté des voix enfantines est sensée approfondir l’innocence et la nostalgie, à l’œuvre aussi bien dans les mélodies que dans les textes des versions d’origine, et dans toute l’œuvre récente du groupe.

The Shadow of the GuestLes quatre titres retenus, dont trois extraits de Sit Dow for Dinner, sont des réinventions, douces et magiques, idéales pour contempler les soirs d’été défiler doucement, le ciel se remplir de doux noirs, au son des voix entremêlées de Kazu Makino et du groupe d’enfants. Improbable, mais imparable, sur des titres qui ne sont pas pourtant les plus évidents de l’album d’origine : Rest of Her Life (en ouverture), Before et Via Savona. Dans certains cas, les chansons initiales, résistent : Before est certes approfondi par les chœurs, mais comment résister à la première minute de la chanson, rampe de lancement en tous points identique à la version originale, et dont on se dit alors qu’elle se suffit à elle-même dans sa perfection et sa douce certitude pop ?

Enfin, quasiment à l’inverse dans l’idée, Coda conclut cette « face A » (en quelque sorte), en réinventant à peine la plus ancienne For the Damaged Coda, courte chanson (2:30) de 2000 quasi exclusivement instrumentale, sur laquelle Kazu fait à peine des « lalala » et qui est la chanson la plus streamée du groupe (plus de 86 millions d’écoutes sur Spotify !) grâce à la série Rick et Morty et à une forte viralité sur les réseaux sociaux. Décidément improbable.

La deuxième partie de ce cadeau estival est à la fois différente, et, restant très curieuse, bien dans l’esprit de l’album : le groupe y livre trois versions « ASMR » (Autonomous Sensory Meridian Response, avec des techniques d’enregistrement douces, privilégiant le sonorités éthérées) et une conclusion inattendue. Grand moment de cette collection, avec ses onze minutes, Kiss Her Before the Snow Melts est un pot pourri, comme son nom l’indique de Kiss Her Kiss Her, Before et de Snowman, tout en réussissant à constituer une chanson quasi originale, où le groupe montre sa cohérence. Kazu y effectue un vrai retour au chant, en français s’il-vous-plaît, signe que ce concept est vraiment arty… « C’était l’été, je me souviens » chante de manière parfaite dans notre langue l’impayable chanteuse nippo-américaine, pas si loin d’une Birkin, en grande voix onirique qui amène l’auditeurs définitivement dans les limbes. Pas la peine d’abuser du rosé cet été : Kazu fera le même effet ! La chanson mute ensuite en long instrumental planant, sur lequel la voix de Kazu continue de planer, accompagnant en maîtresse divine la guitare et la batterie de la fratrie italienne Pace (Amedeo à la guitare et Simone à la batterie, comme toujours).

Dans cette chanson, et les deux suivantes, on trouve en réalité, l’origine du projet : Kazu explique avoir coopéré pour un défilé avec sa grande amie Isabel Marant (signe aussi que ce concept n’est pas pour les gueux, mais ça, on n’en doutait pas trop, avec Blonde Redhead) : « je lui ai proposé de reprendre des parties des titres, de les assembler et de faire de l’ASMR. On a tout enregistré à Paris et je me suis mise à dire des mots français. Le projet a pris une tout autre ampleur et est devenu une expérimentation qui est sortie du contexte de la commande pour donner ces versions étranges que nous voulons partager aujourd’hui. Pas comme une réédition, mais comme un long rêve qui, doucement, devient réel. » La suite, toujours pensée pour ce défilé, est pour le coup réellement ASMR, avec le court instrumental onirique aux chants d’oiseau, Good Morning Sunshine, prolongé de Good Night Til Tomorrow, éclairé dans sa dernière minute par la voix de Kazu qui met fin à ce rêve éveillé, mais en douceur. Il s’agit, en réalité, des deux uniques compositions nouvelles, que le groupe n’imaginait sans doute pas sortir seules, ce qui s’entend.

Ce doux réveil sera prolongé avec une version mariachi (!) de For The Damaged Coda, rebaptisée Oda a Coda, qui nous fait nous demander au final si tout cela est aussi innocent qu’il prétend l’être. Avec Blonde Redhead, il y a souvent, encore, l’ombre d’un doute, mais un doute délicieux. Les trompettes virevoltent et une volée de violons confèrent un traitement franchement baroque à cette chanson conclusive. Mais le résultat final est curieusement court et aérien, là où tout devrait être lourd a priori – une définition de la magie propre au groupe ? La conclusion idéale pour cette curiosité estivale pour les fans mais pas que.

Dans la moiteur de l’été, Blonde Redhead amène ainsi une légère brise irrésistible. Qui nous fait nous sentir plus vivants après une journée de soleil ravageur, et nous donne envie de piquer une dernière tête.

Jérôme Barbarossa

Blonde Readhead – The Shadow of the Guest
Label : section 1
Date de sortie : 27/6/2025 (numérique) ; à l’automne pour les supports physiques.

 

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