Other, le dernier film de David Moreau, est une belle claque pour quiconque est sensible au cinéma de genre (ici les films d’épouvante), quand il est original et, surtout, intelligent. Il reste quelques scories, certes, mais Moreau est d’ores et déjà un auteur sur lequel compter.

Et on en revient – peut-être parce que c’est l’été, saison creuse cinématographiquement, ce qui permet de sortir sur les écrans français (mais malheureusement dans des salles à demi-désertées) des films plus modestes, mais aussi moins consensuels – à notre débat éternellement renouvelé sur le cinéma de genre en France. Other, belle claque et jolie épreuve pour nos nerfs pendant une heure et demie extrêmement « vivifiante », est un nouvel exemple de ce que de jeunes auteurs savent désormais faire en France aussi : écrire un excellent scénario, réunir des fonds en allant ratisser un peu partout (ici, Disney+ apparaît au générique, ce qui garantit au film, on imagine, une diffusion internationale sur la plateforme), et diriger leur film sans faire de compromis (tout au moins de compromis trop visibles). Pour un résultat qui ne manque pas d’allure, en dépit de quelques scories et défauts (on y reviendra), un film dont on sort assez chamboulé et surtout stimulé.
Other raconte l’histoire d’une femme retournant, à mort de sa mère, dans la demeure familiale, de longues années après l’avoir quittée. La maison est totalement isolée dans les bois, mais bénéficie de la dernière technologie de pointe en termes de sécurité : après tout, on est aux USA ! Car ça a son importance dans la « révélation » finale – en fait, Other n’aurait pas pu être tourné en France, pour une raison qu’on ne découvre qu’à la fin, en effet… Dans cette maison, elle soupçonne une présence inquiétante – et rapidement terrifiante -, plus que probablement liée à la mort brutale de sa mère.
On n’en dira pas plus, pour laisser à chacun le plaisir de la découverte d’un scénario qui n’est pas a priori très original, mais qui va nous emmener dans des zones très inconfortables des relations mère-fille. Une double scène d’ouverture intrigante et forte, suivie par une présentation élégante de la protagoniste, Alice (de l’autre côté du miroir, bien sûr), nous amènent progressivement à un enfermement de plus en plus anxiogène, et à une irrépressible montée de la terreur, puis de l’horreur violente.
Curieusement « vendu » comme un thriller qu’il n’est pas (sans doute pour ne pas faire fuir ceux qui se méfient du cinéma de genre, malheureusement), Other est assez proche du travail de Stephen King (ce qui pour nous est un énorme compliment), en ce qu’il part des relations humaines, toxiques (comment ne pas penser à Carrie, quelque part ?), pour aller vers le fantastique. Moreau est un réalisateur qui ne manque pas d’audace, par la manière dont il utilise les images – distordues, incomplètes, difficilement lisibles, fracturées (belle affiche totalement dans le thème du film) – que les sons, presque toujours plus terrifiants que les images, justement : il sait qu’il vaut mieux en montrer le moins possible pour que l’efficacité soit maximale, en expliquer le moins possible pour le spectateur se raconte sa propre histoire. Et il respecte ce précepte jusqu’au bout, même si, évidemment, le « twist » final, terrible, fait partie du « package ».
Autre point fort de Other, la pleine acceptation que le « modèle coréen » de la porosité entre les genres, du mélange des formes, est de plus en plus intégré par le public cinéphile, et s’avère désormais une opportunité passionnante. Other n’est certes pas un thriller, mais c’est un pur drame familial, en même temps qu’un film de « home invasion », une histoire de serial killer, et un bon vieux film d’épouvante du samedi soir. Moreau a même l’idée facétieuse que reprendre les codes du found footage, de manière certes un peu vaine, mais ludique.
On a parlé de ce qui fonctionne, ce qui nous excite, dans Other, mais tout n’est pas parfait : d’abord, quelques raccourcis scénaristiques sont trop grossiers, rien d’ailleurs qu’un peu d’investissement dans l’écriture n’aurait pas pu résoudre. Plus grave, car c’est là le vrai « problème » du film, le jeu d’Olga Kurylenko est en permanence dans l’excès, au point d’en devenir progressivement irritant. On peut imaginer qu’il s’agit là d’un choix formel de Moreau et Kurylenko, pour privilégier une forme d’outrance, d’histrionisme qui ne manque pas de logique par rapport au thème du film, mais on ne peut pas non plus s’empêcher de penser que le film aurait été bien plus beau, plus fort, avec une interprétation plus retenue. Mais que Other ne soit pas parfait ne le rend nullement moins impactant et moins passionnant.
Il est temps maintenant de revenir en arrière dans le temps pour explorer la filmographie de Moreau, sachant qu’on a déjà entendu dire du bien de MadS, son film précédent, jamais sorti en salles.
On en reparlera, c’est sûr.
Eric Debarnot