La Dame du lac de Malsaucy a veillé sur cette nouvelle édition des Eurockéennes de Belfort. Avec une programmation plus rock, le festival a signé son second record d’affluence avec 130.000 spectateurs, et a connu la censure pour la première fois de son histoire.

Jeudi 03 juillet 2025
Premier constat et pas des moindres, le festival belfortain a accru le confort des festivaliers. Du tri systématique des déchets aux plats et gobelets consignés, le site affiche une propreté visible. Les commodités sont plus nombreuses et la rotation des navettes augmentée.
Les tee shirts vintage à l’effigie de la mascotte Eddie the Head sont partout. Les pionniers de la « New Wave of British Heavy Metal » Iron Maiden fêtent leurs 50 années d’existence, et posent armes et bagages aux Eurockéennes.

Dès 17h, la transhumance heavy-metal est accueillie par des tubes du genre mixés par le dj et performer azimuté Metal Hurllmann. La nuit n’est pas encore tombée que The Raven Age débute son set. Les tatouages et maquillages noirs recouvrent les bras et les cous des cinq musiciens anglais, qui explorent le hard de la côte ouest US et le métal mélodique. Les riffs de guitares saccadés de Hangman font le grand écart avec les solos d’Essence Of time. Le chanteur Matt James se montre à l’aise, et tel un vieux briscard, il abuse des « Faites du bruit, vous êtes incroyables mes amis », tout en laissant les parties gutturales à son bassiste Matt Cox. Le guitariste Tommy Gentry, coupe goth peroxydée, échange les amabilités heavy avec son comparse Georges Harris et progéniture de Steve Harris, bassiste et fondateur d’Iron Maiden. James entame Grave Of The Fireflies à la guitare acoustique avant d’enchaîner avec Fleur de Lys en bouquet final.

Aux premières notes de Doctor Doctor d’UFO diffusées dans la sono, les hardos dodelinent en rythme, poings levés. Puis, un clip est diffusé sur l’immense écran led en fond de scène pour une déambulation dans l’East London au gré des pubs qui virent Iron Maiden débuter. En fond sonore, l’instrumental The Ides Of March de l’album Killers (1981). Le groupe arrive sur scène en courant et enchaîne trois titres du même album, dont Murders In The Rue Morgue, disparu de leur répertoire depuis vingt années. Eddie The Head apparaît enfin sur le titre éponyme, fait mine de trancher la tête des guitaristes. L’écran diffuse des plans en haute résolution en phase avec les thématiques souvent anxiogènes des compositions. Two Minutes To Midnight et Powerslave se démarquent mélodiquement. Le chanteur Bruce Dickinson, la voix préservée, clame son amour pour le vin rouge au détriment des vins blancs de Bourgogne, et arpente la scène comme un vieux gibbon plein d’entrain. Le jeu de basse de Steve Harris est impressionnant, la croche facile se fend d’un beau solo avant Hallowed Be The Name. Les parties de guitares de Dave Murray sont fluides, tout comme celles des deux autres guitaristes Janik Gers et Adrian Smith, adeptes de solos et de rythmiques ravageurs. Le show ne faiblit pas, avec en rappel des projecteurs qui scrutent le ciel, les sirènes retentissent comme à Londres en 1945. Aces High, Fear Of The Dark et Wasted Years clôturent l’unique concert français de Iron Maiden, en festival.
Vendredi 04 juillet 2025

La journée commence mal. La grève des contrôleurs aériens français empêche les anglais punk-indies de High Vis d’être présent à Belfort. C’est donc Die Spitz qui les remplace sur la grande scène. Une première pour les Texanes dont c’est le premier concert en Europe. Habitées par le grunge et le noise, les musiciennes chantent tour à tour et font sonner les larsens. Aussi à l’aise sur des titres plus lents et lourds comme My Hot Piss, Die Spitz se montre plus punk sur Hair Of Dog et Big Boots, et retourne le pit avec un I Hate When Girl Die plus métal. Un beau moment de rock’n’roll sauvage.

La scène de la plage accueille le retour de Silmarils, princes du rap-fusion à la française. Les paroles sont toujours engagées, et Dieudonné prend cher sur le nouveau titre Oublie-moi. De leur dernier album Apocalypto, Tu Nous Mérites Pas et Au Paradis figurent dans le tiercé gagnant. Silmarils se fait plaisir en reprenant It’s Tricky de Run-D.M.C. Les anciens titres ne sont pas oubliés, dont le percutant Mackina en intro, et Cours Vite en final, avec en rappel les tubes Va Y Avoir Du sport et Love Your Mum.
Un titre que n’aurait pas démérité Parcels, tant les Australiens passent pour des gendres parfaits. Devant un fond d’écran pastel aux couleurs sunset, les cinq musiciens jouent serrés. Toujours chill, Parcels aligne les singles funky comme Overnight (produit par Daft Punk), Lightenup et Tieuprightnow. Moment de grâce lorsque, assis sur le devant de la scène, les cinq musiciens interprètent Safeandsound à l’unisson. La suite est plus électronique, avec des plages instrumentales clôturées par la guitare-cocotte de Jules Crommelin. Se regroupant autour du batteur, les Australiens manient cloches et percussions pour un break salvateur, avant de dégainer le hit Iknowhowifeel et Hideout. Parcels, l’oasis de la journée.

Sous le chapiteau de la Green Room, Landmvrks fait rugir son post-metal qui condense toutes sortes d’influences. Trip hop, métal, hardcore, rap, stoner, les Marseillais mixent l’ensemble sous l’œil performant du chanteur Florent Salfati. La majorité des titres sont issus des derniers albums Lost In The Waves (2021) et The Darkest Place I’ve Ever Been (2025). Les projections subliment le set, la puissance rythmique et la variation des ambiances sur Blistering et Blood Red posent le groupe comme un digne successeur de Gojira.
Devant la grande scène, la foule se presse pour Kalash. Le rappeur touche à tout est connu pour s’être inspiré du shatta et du reggae. Il débute seul sur scène, donne la fâcheuse impression d’improviser ses paroles et abuse de samples comme Eyes Of The Tiger de Survivor. Ce n’est qu’une fois rejoint par un groupe que les titres prennent plus d’ampleur, deviennent plus mélodiques et plus mainstream, et sont sauvés par quelques fulgurances reggae.

Sous le chapiteau bondé, Philippe Katerine est attendu comme le messie le plus zinzin de la planète. Il dépasse l’entendement, costumé en reine d’Angleterre ou tout nu, il embarque son public dans un monde surréaliste. Aux La Banane, Des Bisous ou La Reine D’Angleterre, on préféra Nu et surtout Sous Mon Bob magistrale d’afro beat décalé. Katerine termine son set par le percutant et imparable Luxor J’Adore, avec en rappel l’intimiste Moment Parfait.
A la Loggia, le sludge résonne fort avec les bisontins d’Alta Rossa. Voix au diapason, les guitares lourdes quasi hardcore distillent une ambiance sombre et flippante.

Sur la grande scène le public se montre impatient. Dj Snake arrive sur des projections épileptiques qui électrifient les corps. Les sons électro sont assez convenus, et agissent comme des piqures d’adrénaline dans le cerveau. Les évacuations aux premiers rangs sont nombreuses, les montées acides et les gros sons synthétiques agissent comme des répliques de Daft Punk. Le Dj joue avec les potentiomètres, accentue les filtres, prend le micro et lâche quelques uppercuts. Puis il passe vite les tubes plus soft et populaires comme Get Low, Disco Maghreb, Lean On.
Samedi 05 juillet 2025
Quelques notes de guitares funk, voire jazz-rock, annoncent la présence de Keziah Jones. Le musicien nigérian aime la liberté, se laisse aller à quelques improvisations. En quatuor, le son est sec comme un bambou, et met en avant la dextérité des multi-instrumentistes. L’essentiel de son répertoire provient de l’album Black Orpheus (2003), et Jones, sous un soleil torride, garde son hit Rythm Is Love pour la fin du concert.
Ambiance toit de Paris pour le rappeur Tif qui est accompagné de musiciens finauds. Batteur, percussionniste, clavier et guitariste entourent le rappeur et son backeur. Enjouées musicalement, les paroles, reprises en cœur, respirent une douce mélancolie qu’il appelle « ghorba ». Celle d’avoir quitté l ‘Algérie, son pays d’origine et de se rappeler du sort d’amis migrants disparus en mer. Il partage son amertume quant au destin de la Palestine sur Nothing Personal, et clashe subtilement Eric Zemmour sur .38. On distingue des influences andalouses, raï et rap complètement maitrisées et mesurées, tout comme l’artiste.

C’est sur la plage que la nouvelle sensation new-yorkaise a posé son matériel. Fcukers n’a que quelques maxis 45T dans leur tode bag, et jouit d’une sacrée réputation. Dès les premières notes de Homie Don’t Shake, le groove big beat se répand, suivi d’un Mothers plus house. La voix douce et suave de Shannon Wise s’émancipe sans peine sur des rythmiques dance, des basses dub ou fuzz et des scratches du dj. Look British 90’s casual avec bob sur la tête, Jackson Walker Lewis s’affaire autour de ses synthés-basses avec une cool attitude bienveillante. Le dj balance les samplers et effets bien sentis en phase avec les rythmes hypnotiques du batteur. On entend donc un peu de dub sur UMPA, d’irrésistibles percussions made in NYC sur To My Party, et de la house sur leur single Bon Bon. Fcukers révélation de cette 35ème édition des Eurockéennes.
La belge costumée Sylvie Kreusch s’est entourée de nombreux musiciens et musiciennes. Claviers et choristes, bassiste, guitariste et batteur accompagnent la chanteuse-mannequin. Au programme, de la pop bariolée sur Ding dong et Hocus Pocus, indie-rock avec l’excellent Comic Strip, groove sur Ride Away, tous ces titres issus de son dernier album Comic Trip paru en 2024. Plus soft pop, Cloud 9 et Walk Walk dévoilent un aspect plus intimiste qui sublime la voix de S.K, telle une Stevie Nicks indie.

C’est peu dire que Last Train était attendu avec ferveur. Promu en ligue 1 du rock burné français, les Alsaciens en profitent pour afficher le nouveau maillot de leur équipe de foot de cœur, Sochaux-Montbéliard, pensionnaire de… National. Tout en puissance maitrisée, – mention spéciale pour On Our Knees -, les cassures rythmiques et guitares en feu font bon mélange avec la voix de Jean-Noël Scherrer qui a gagné en modulation. Du début avec l’hypnotique Home jusqu’à la fin avec The Big Picture, Last Train alterne les passages lents et calmes avec des montées fulgurantes. Une véritable machine de guerre qui aura marquée cette édition.

Plus de légèreté növo avec La Femme qui se présente avec deux musiciens additionnels, l’un aux percussions et une troisième chanteuse. Des titres n’excédant pas les trois minutes, My Generation, Où Va Le Monde cartonnent, Marlon Magnée, affublé d’un chapeau mène la danse, la guitare surf tenue par Sasha Got est bien mise en avant. Sur La Femme, les trois chanteuses sont en symbiose. Après plus de quinze années d’existence, La Femme conserve ce côté foutraque qui fait tout leur charme. Un immense masque en drap occupe l’arrière de la scène, les costumes psyché-punk yéyé sont délirants et la fête est chaotique. Sur La Planche et Tatiana restent des moments forts du concert.
Avant, la house-techno d’ Offenbach déverse un light show stylé. Dorian Lux et César de Rummel interprètent quelques titres au chant et sont accompagnés de deux autres dj-musiciens, et offrent autre chose qu’un set statique de Dj derrière sa platine. Alternant passages techno (Need The Most) et plus cool (Rock It, Be Mine), les quatre blondinets alignent les singles comme des punchlines, et se permettent une reprise de Cambodia de Kim Wilde, remixée à leur sauce sous le nom d’Overdrive.
Dimanche 06 juillet 2025

Contraste en ce dernier jour du festival. Le vent et la pluie s’invitent, et obligent les organisateurs à décaler le concert de Theodora. Ce qui ne gênera pas outre mesure les Anglais de The Molotovs. Directement sortis de Carnaby Street 1967, le trio est looké sixties straight-mods et balance les titres avec la même urgence que The Jam en 1977. Le chanteur et guitariste Mathew Cartlidge n’a que 16 ans, sa sœur bassiste Issey à peine 18 ans, et ils savent tenir la scène. Les singles More More More, Today’s Gonna Be Our Days et No Time To Talk sortis cette année, rejoignent une setlist composée d’inédits. Intenable sur scène, The Molotovs joue avec cette urgence et classe qui caractéristique les formations anglaises mods. Une reprise amphétaminée de Suffragette City de David Bowie conforte leur bon goût.
Suite à une plainte d’un député RN, le concert du rappeur Freeze Corleone est interdit par le préfet du Doubs pour risque de troubles à l’ordre public. Une première dans l’histoire du festival. Ce qui n’empêchera pas les festivaliers de festoyer sur les sons électro de Justice, le rapcore engagé de Kneecap et l’indie-surf de Royal Otis.
Mathieu Marmillot
Photos : Deadly Sexy Carl
sauf The Molotovs : J.M