caroline – caroline 2 : the folk implosion

Post-rock ? Art-rock ? Alt-rock ? Post-folk ? Quésaco, caroline 2 ? Difficile de cataloguer ce deuxième album de l’octuor britannique, réalisation du deuxième trimestre 2025 qui n’est pas passée inaperçue, et sur laquelle nous nous devions de revenir.

caroline image
Photo : El Hardwick

Nous avions raté, c’est vrai, le premier disque de caroline, publié en 2020. C’est donc avec une oreille fraîche que nous découvrons le deuxième album du groupe londonien, publié le vendredi de l’Ascension, alors que la France était, déjà, écrasée sous un soleil implacable et la chaleur. Le groupe, formé en 2017 par un trio, est devenu un octuor après avoir été rejoint par plusieurs instrumentistes.

caroline 2caroline 2 commence par des riffs divers balancés de manière vaguement dissonantes, une voix aérienne qui marmonne, appuyée par des chœurs discrets… l’inspiration est plutôt shoegaze. Bientôt des cuivres, d’autres voix, des bruits de guitare différents viendront se joindre à l’affaire, rapidement brouillée par des bruits électroniques semblant parodier un vinyle qui serait mal lu… Une façon de nous dire que, oui, nous sommes autorisés à avoir l’impression d’écouter un album de My Bloody Valentine ou Slowdive mal placé sur la platine ? Total euphoria, c’est son titre, n’est pas donc totalement conforme à son programme, mais s’élève tout de même à une belle hauteur, notamment grâce à l’harmonium, qui en fait aussi une possible bonne chanson pour ouvrir les futurs concerts du groupe.

Song two (logique…) suit, dans une référence improbable, à 90 degrés, à la chanson de Blur, la plus punk et basique du répertoire du groupe anglais, et sans doute son plus grand hit. A l’écoute, c’est une fausse piste complète : guitares et violons s’ébrouent dans une mélodie malade qui cherche son tempo, ralentit, puis repart chétivement avec une trompette malade, on est plutôt ici chez Gastr del Sol ou le Tortoise d’une certaine époque (TNT, mais ici il s’agirait plutôt d’implosion des chansons). Nous voilà pas plus avancés après deux chansons et huit minutes d’album. C’est pas mal, mais qu’est-ce que c’est, bon sang ? L’énigme reste entière.

Et dire que la troisième piste, Tell me I never knew that, deuxième single extrait du disque après Total euphoria, propose, au casting la reine de l’hyperpop de la saison 2023, Caroline Polachek, pour une pop song quasi classique, qui décolle vraiment quand… la reine la boucle un peu, après quasiment 2 minutes tout de même, enfin relayée par les voix masculines en canon de Mike O’Malley et Joseph Llewellyn, deux des trois fondateurs du groupe. On ne comprend pas grand-chose aux paroles, marmonnées, mais on se dit encore que c’est pas mal, la mélodie décollant un peu, les arpèges de guitares étant relayés par une trompette évanescente mais moins foutraque que sur le titre précédent. Ça se termine encore par autre chose, avec les voix entremêlées de Magdalena MacLean et de l’un des deux chanteurs, dans un quasi spoken word robotique, façon mantra, où sont répétés inlassablement « This always happens / It always will be« , avec, donc, une inventivité limitée niveau paroles. Comme s’il avait fallu à tout prix prendre le contre-pied du début trop cristallin, sous influence de Polacheck, et montrer la capacité du groupe à tout foutre en l’air, et à composer trois chansons en une, comme des gamins à la fois turbulents et hyperlettrés. Et, Princesse Polachek ou pas, le message du groupe est un peu qu’il n’est pas là pour nous faire siffloter sous la douche.

When I get home, quatrième piste de l’album, en est en réalité le cœur battant. « When I get home / I might just ask / What you need to » seront à peu près les seules paroles prononcées, encore façon mantra, sur cette longue plage de six minutes, où le groupe vise à créer une symphonie de poche, et où arpèges de guitare et violon irritant se marient avec plus ou moins de bonheur. Puis, le miracle advient, les voix de plus en plus appuyées et aériennes (dont celle de Naima Bock, également présente sur le titre suivant) amenant enfin la chanson sur un autre territoire. C’est Total euphoria ou Song two, mais en mieux, car le groupe assume plus radicalement ses tentations post rock et noisy, composant au final une comptine malade, et dissonante, qui n’aurait pas dépareillé sur certains albums de Sonic Youth (sur un Washing Machine ou un Experimental Jet Set, Trash and No Star) ou chez Sparklehorse.

U R ONLY ACHING, ouvrant “la face B”, s’avance avec coquetterie, avec ce titre en capitales alors que les autres titres posaient un peu aussi, dérogeant à la règle « anglaise » des capitales en début des mots pour les titres de chansons. Cette cinquième piste s’emballe carrément, en organisant à nouveau un mur du son de cordes diverses, puis s’arrêtant subitement, comme si le groupe était effrayé par sa propre puissance, qui pourrait lui faire proposer quelque chose de finalement un peu canonique au rayon post-rock (à la Mogwai, si l’on veut), lui préférant un long outro difficile à admettre. Mais admettons. On n’a pas le choix.

Nouveau clin d’œil, Colplay cover, n’en est évidemment pas une, mais s’avance avec des guitares électro-acoustiques virevoltantes et des voix aériennes. La mélodie se casse et se dilue définitivement, achevée heureusement par une voix féminine pure, dont on ne sait plus très bien de qui elle est (les crédits publiés n’aidant pas trop à décrypter non plus, cela doit faire partie du concept). L’explication du label dans son matériel presse pour ce titre vaut d’être citée : « Le titre a été enregistré dans deux espaces distincts : les deux moitiés du groupe y interprétaient des morceaux différents pendant que l’ingénieur du son déambulait avec un micro nomade – on entend ainsi le son urgent de la première prise céder peu à peu la place à l’atmosphère lente et méditative de la seconde, tandis que la première reste encore perceptible en arrière-plan ». Bref, plus compliqué, tu meurs, mais cela en fait quand même le troisième single extrait de l’album : un choix Marketing pas vraiment évident !

Le groupe clôture ensuite l’album avec deux chansons longues, de plus de 5 minutes, qui sont, peut-être, au fond, ce qu’il a de plus intéressant à offrir. Two riders down, avec son titre de western, est le morceau le plus cohérent de l’album, car il garde une ligne claire, « post folk », si cela existe, d’un folk tordu, et noisy, sur lesquelles les « Two riders down » en boucle du chanteur finissent par donner le vertige, d’autant qu’il semble qu’il est fait référence ici à la perte d’êtres aimés. Le groupe ne s’amuse pas ici, deuil oblige peut-être, et ne s’amuse pas à déconstruire son propre édifice, à inventer une, deux ou douze autres chansons : Two riders down est d’un même bloc, noir, grinçant, dissonant, violent. C’est la meilleure chanson de l’album.

Mais, chassez le naturel… La conclusive Beautiful ending pêche à nouveau par son excès d’ironie méta dès son titre (après Total euphoria, Song two et Coldplay cover, cela finit par faire la moitié des titres de l’album qui sont trop – ou pas assez – malins). La chanson a cependant quelques beautés à offrir : longue plage post rock, déréglée par cuivres et voix passée à l’Auto-tune, assumant elle aussi franchement son héritage post rock, mais dans une sorte de dépassement de Tortoise ou Gastr del Sol, pas si loin de Dirty Three ou de Low, se terminant comme un orchestre qui s’accorde avant de s’élancer. Une fin apaisée, et pas si loin, en effet, d’être magnifique.

Alors, au final, verdict ? caroline, c’est de l’art-rock, du post-rock ou encore autre chose ? A vrai dire, difficile de se faire une idée. C’est en tout cas une proposition étonnante de la part d’un groupe britannique ; un blind test nous aurait fait envisager de manière à peu près sûre un groupe des USA, centre de gravité Chicago, frayant dans les eaux du post-rock US telles qu’elle sont aujourd’hui, quasi à sec, et tentant une improbable remise à en eau. Le groupe est incontestablement virtuose dans la création d’un chaos organisé d’instruments et de voix, qui a ses beaux reflets, mais qui fuit sans doute trop la « facilité », la recherche mélodique, « ligne claire ». Même quand caroline la suit, le groupe veut s’en écarter, sans doute trop systématiquement.

Se gagner et fidéliser un public devra, nécessairement, passer par un peu plus de « facilité » et de concessions. Et, dans l’immédiat, pour caroline, la vérité viendra peut-être, comme souvent, de la scène. Son chaos organisé pourrait y être majestueux, à condition d’arriver à transcender les limites de cet enregistrement à nos oreilles trop pensé et cérébral, et pour tout dire poseur. Sans la Polachek, ce sera dans tous les cas mieux ! Rendez-vous donc à la rentrée, du moins pour les Lillois et pour les Parisiens. Nous y serons.

Jérôme Barbarossa

caroline – caroline 2
Label : Rough Trade Records
Date de sortie : 30 mai 2025

En concert à Paris – Petit Bain, le 15/9 , Lille – l’Aéronef, le 16/9.

 

1 thoughts on “caroline – caroline 2 : the folk implosion

  1. Bon courage pour « Skydiving onto the library roof » (s’ils le jouent) en septembre ! Je suis « cible », j’étais allé spécialement les voir au bbmix en 2022, mais ce morceau « m’a tuer »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.