Dans la chaleur estivale du Nouveau-Mexique, un père divorcé retrouve ses deux filles. Histoire d’une relation en pointillés qui s’étend sur une quinzaine d’années, l’espace de quatre étés, In the Summers porte un regard sensible et pudique sur l’amour au sein d’une famille éclatée, qui peine à composer avec les addictions du père.
In the Summers : quatre étés pour raconter la fragilité du lien entre un père divorcé et ses deux filles, dans la touffeur du Nouveau-Mexique. Quelques semaines sur une quinzaine d’années au cours desquelles nous verrons deux petites filles, Violeta et Eva, devenir des adolescentes puis des femmes, en même temps que se construira, non sans peine, leur relation avec Vicente, leur père. Alessandra Lacorazza, réalisatrice américaine d’origine colombienne, s’est inspirée de sa propre histoire pour ce premier long-métrage intimiste, une réflexion tendre et poignante sur la difficulté à « faire famille » au-delà de la séparation, des doutes et des blessures.
Quatre étés pour une histoire en quatre actes. Une histoire qui se construit autour des ellipses qui, comme des trous béants de plusieurs années, séparent les visites de Violeta et Eva à leur père, sans que nous ne sachions rien de leur vie en Californie, avec leur mère. L’évolution des deux sœurs, c’est chez Vicente que nous la découvrons : la passion d’Eva pour les arts plastiques, les brillantes études de Violeta et sa progressive transformation physique. Elle apparaît à travers un subtil système d’échos, de reprises plus ou moins altérées des mêmes motifs. Mais c’est sur la relation avec leur père que se concentre le film – on ne peut s’empêcher de songer à Aftersun de Charlotte Wells. Elle s’inscrit, immuablement, dans cette maison avec piscine que découvrent les deux petites filles au début du film. Et c’est la maison aussi, qui témoigne du temps qui passe et de l’inexorable descente aux enfers de Vicente : la piscine des plaisirs d’enfant, désormais vide, voit ses abords se dégrader de plus en plus. Être un père aimant ne suffit pas. Derrière ses airs de gros dur tatoué, Vicente – interprété avec beaucoup de sensibilité par le rappeur portoricain Residente – déborde d’affection pour ses filles : il suffit de le voir préparer avec amour leur venue, imaginer pour elles les sorties et les jeux qui les combleront et leur laisseront des souvenirs jusqu’aux prochaines retrouvailles. Pourtant, il ne parvient pas à chasser les démons qui le hantent et en viennent à compromettre ses relations avec son entourage. et en premier lieu avec Eva et Violeta.
Il y a en effet un mystère Vicente. Une fragilité sur laquelle on s’interroge. Le père aimant se laisse aller de façon imprévisible à des colères incontrôlées, des paroles blessantes. Alcool, marijuana, coke, une consommation qui se fait, au fil des ans, plus importante, et en vient à mettre en péril son entourage et au premier chef ses filles, à tel point que l’on frôlera même le drame. Pourquoi, malgré ses efforts, cette incapacité à mener une vie stable ? Bien que né à Porto-Rico, il est parfaitement intégré à Las Cruces, parlant indifféremment espagnol et anglais, sans que l’on sache exactement de quoi il vit – de plus en plus chichement d’ailleurs. A-t-il sombré au moment de son divorce ou son instabilité est-elle la cause de son divorce ? Ce que l’on voudrait retenir, surtout, ce sont ces images pleines de délicatesse qui réunissent père et filles : la distance pudique, les tentatives prudentes de rapprochement, les moments de tendresse et de partage heureux. Les petits riens d’un quotidien vécu à trois : une partie de billard, une promenade dans le désert, une leçon de cuisine. Mais comment ne pas être étouffé par les silences, les non-dits, l’embarras, les maladresses qui viennent abimer cette relation, par le désarroi qui se lit dans les yeux de Violeta et Eva, leurs désirs contradictoires, leurs sentiments ambigus ? Comment ne pas être sensible à leur besoin de chercher ailleurs des respirations ? Avec Carmen qui veille discrètement et maternellement sur elles, avec Camila par qui Violeta est très tôt attirée, avec Natalia, leur nouvelle petite soeur?
In The Summers, une histoire de père et filles, certes, mais qui est en creux l’histoire d’une famille, moins par l’image de la mère dont la présence est plus que discrète que par la tentative de Vicente de recréer avec une autre son paradis perdu. Histoire de famille aussi par la relation qui unit deux soeurs fort différentes dont la complicité s’affirme bien plus par les gestes et les regards que par les mots. J’ai beaucoup aimé ce film plein de délicatesse, qui, entre douceur et amertume, nous émeut sans recourir au pathos, suggère sans expliquer, ne fait pas de la queerness un sujet et qui, préférant la lucidité aux bons sentiments, ne cède pas à la tentation du « happy end ».
Anne Randon