« Il était une fois dans les Amériques » de David Grann : un florilège de non-fictions par le pape du genre

David Grann nous emporte au Guatemala, à Cuba et en Amazonie pour trois récits un peu fous, aussi véridiques qu’étonnants. Ces trois histoires fallait les dénicher, certes, mais encore fallait-il savoir les raconter, et c’est là tout le génie de David Grann.

Grann David
© Rebecca Mansell

On ne présente plus David Grann, cet auteur de non-fiction dont la réputation est désormais bien établie et dont on a pu lire récemment :
La note américaine (dont est tiré le film de Scorcese) c’est lui,
– l’épopée des Naufragés du Wager encore lui (et ce sera encore un film de Scorcese)
– et d’autres encore.
Et en 2010, il y avait déjà eu La cité perdue de Z (un livre paru en 2010 chez Laffont et dont est tiré encore un film !).
Nul doute que David Grann possède un don certain pour dénicher d’incroyables histoires vraies.
Et justement, voici une réédition qui combine plusieurs récits : deux courts récits, deux novellas comme on dit désormais, parus dans des journaux, Chronique d’un meurtre annoncé et Yankee Commandante, assortis du roman La cité perdue de Z.
Trois histoires vraies où la réalité dépasse largement la fiction, trois fois Il était une fois dans Les Amériques, mais des Amériques qui ne sont pas celle de Trump puisque David Grann nous emmène au Guatemala, à Cuba et en Amazonie.

Pour savoir à quel point la réalité dépasse souvent la fiction, il faut lire David Grann !
Un auteur qui fait dire à l’un de ses personnages « les mots étaient sa façon de mettre en ordre le tumulte du monde ».

Si ces trois récits saisissants, aussi véridiques qu’étonnants, sont réunis dans ce florilège c’est parce qu’ils racontent trois histoires de têtes brûlées, trois destinées hors du commun, chacune flirtant avec l’imposture ou la mystification, des histoires de « gens ordinaires qui sont amenés à faire des choses extraordinaires ». Trois fins tragiques également.
Ces trois histoires fallait les dénicher, certes, mais encore fallait-il savoir les raconter. C’est là où David Grann excelle à mettre en scène des faits véridiques comme s’il s’agissait de romans d’aventures, des individus authentiques comme s’il s’agissait de héros de fictions, tout cela sans jamais s’éloigner de la vérité vraie mais sans non plus tomber dans la biographie aride.
L’auteur avoue lui-même que « de temps en temps, je dois me répéter que tout, dans cette histoire, est vrai » et le lecteur doit lui-aussi se pincer – dis-moi que c’est pas vrai ! mais si ! – et reste pratiquement bouche bée en attendant le dénouement car, comme dans tout bon récit, chute il y aura !
Ce sont des « histoires qui vous mettent le “grappin” dessus », dixit David Grann en reprenant les mots de Henry Rider Haggard, l’auteur des Mines du roi Salomon.

Chronique d’un meurtre annoncé :

David Grann va nous faire découvrir un Guatemala effrayant. Un pays qui n’arrive pas à se remettre de trente ans de guerre civile (30 ans !), l’une des guerres les plus sales d’Amérique Latine, et c’est pas peu dire car ce fut longtemps la spécialité de ce continent.
Les anciens commandos para-militaires sont devenus des gangs mafieux et l’on assassine à tout va, et en toute impunité. Il faut même faire appel à un organisme de l’ONU pour rendre (difficilement) la justice !
« […] En 2007, une étude menée conjointement par les Nations unies et la Banque mondiale classait le Guatemala au troisième rang des pays les plus meurtriers. Entre 2000 et 2009, le nombre des assassinats a progressé avec régularité, pour arriver au chiffre de six mille quatre cents. Le taux de meurtres était presque quatre fois supérieur à celui du Mexique. En 2009, on déclarait moins de pertes civiles dans la zone de guerre irakienne qu’on ne comptait de victimes de balles, de coups de couteau ou de tabassages à mort au Guatemala.On peut faire remonter les origines de cette violence à la guerre civile qui a opposé l’État et les rebelles de gauche, soit une lutte de trois décennies qui fut, entre 1960 et 1996, la plus sale des sales guerres de l’Amérique latine.
[…] Les cartels d’Amérique latine, qui subissent la pression des gouvernements colombien et mexicain, ont trouvé un sanctuaire idéal au Guatemala, et l’essentiel des cargaisons de cocaïne qui arrivent sur le territoire américain passe désormais par là. »
Voilà, le décor est posé !
En 2009, on assassine un homme d’affaires (la routine, jusque là tout va bien).
Son meilleur ami, Rodrigo Rosenberg, est avocat et se met en tête (en tête folle) de faire la lumière sur cet assassinat. Et il est bientôt assassiné à son tour. Ok, jusque là …
Mais en prévision de son enterrement prochain, Rosenberg fait diffuser une vidéo, un « J’accuse posthume », où il accuse le Président Alvaro Colom, son épouse Sandra Colom« une politicienne influente souvent comparée à Eva Perón, et qui aspire à la succession de son mari » – ainsi qu’un de leurs proches, d’avoir commandité son assassinat ! Le gouvernement est à deux doigts de sauter ! On appelle l’ONU et les US à la rescousse.
C’est Carlos Castresana, un juge mandaté par l’ONU, qui va tenter de faire la lumière sur cette incroyable mais véridique affaire qui va faire le régal des amateurs de complots, de complot dans le complot, etc …
À tel point que « devant un reporter, Castresana a comparé l’affaire Rosenberg à “un roman de John Grisham, mais en vrai” ». Qui dit mieux ?

Yankee Commandante :

Peu de lecteurs sans doute savent « qui était William Alexander Morgan » et encore moins « pour qui il travaillait ».
L’américain Morgan qui « ressemblait au personnage d’un récit d’Ernest Hemingway » et qui débarqua à Cuba en même temps que Castro et le Che « était-il un agent dormant des Soviétiques ? Un agent de la CIA sous couverture ? Ou encore un agent ayant décidé de faire cavalier seul ? […] Il resta pour toujours secret, comme un code impossible à déchiffrer. »
Le Commandante Morgan fut soldat au Japon, déserteur, époux (3 ou 4 fois), mafieux, guérillero, cracheur de feu, éleveur de grenouilles, et j’en passe !
Et s’il nous intéresse ici c’est parce qu’il fut plus ou moins agent double ou triple entre les US et le régime castriste, d’ailleurs « le régime de Batista avait mis sa tête à prix pour vingt mille dollars – ils le voulaient “mort ou vif” ». Bientôt, les enchères vont encore monter, jusqu’à « mettre la tête de Morgan à prix pour un demi-million de dollars ».
Bon, le type était un peu flou, un véritable mystère ambulant, à tel point que même la CIA et le FBI peinaient à le cerner, et cette affaire en porte donc les stigmates, elle est un petit peu moins prenante que celle du Guatémaltèque.
Mais c’est surtout un éclairage passionnant de la révolution cubaine, un point de vue décalé, une vue de l’intérieur qui nous en apprend beaucoup. Et puis la fin, l’épilogue en quelque sorte, est aussi une belle histoire d’amour entre deux idéalistes broyés par la mécanique infernale de l’Histoire, celle avec un grand « H ».

La cité perdue de Z :

Cet incroyable récit d’aventures, soigneusement documenté, va nous faire revivre « la plus mystérieuse exploration du XXe siècle » au cours de laquelle « des explorateurs ont tout sacrifié, et jusqu’à leur vie même, pour localiser la cité de Z ».
Tout commence avec « le colonel Percy Harrison Fawcet, le dernier des grands explorateurs victoriens, le “David Livingstone de l’Amazonie” ».
Percy Fawcet ira se perdre en 1925 dans la région du Haut-Xingu, un affluent de l’Amazone, à une époque où « la jungle amazonienne demeur[ait] aussi mystérieuse que la face cachée de la Lune ».
Au fil de nombreuses années et autant d’expéditions dans la forêt vierge amazonienne, Percy Fawcet attrapera, non pas des maladies tropicales (il semblait immunisé et invincible), mais une bonne part de cette « colère de dieu », tel un Aguirre non violent mais tout aussi follement obsédé par son propre El Dorado.
Ce roman est même une expédition à tiroirs, une véritable mise en abyme, puisque l’on va suivre les traces du colonel bien sûr, mais aussi les traces de quelques unes des expéditions qui s’ensuivirent pour percer et le mystère de sa disparition et le mystère de la fameuse cité, et enfin les traces de David Grann lui-même qui, tout bobo qu’il est de Brooklyn, va tout de même se rendre dans le Haut-Xingu jusqu’au village kakapalo où l’on a perdu la trace de Percy Fawcet !
Contrairement à la plupart ses autres récits, David Grann va déroger à sa règle sacrée et mettre « un peu de lui-même » dans son bouquin et même nous gratifier d’un savoureux auto-portrait. Cela nous rend le récit plus humain et plus accessible, en venant pondérer un peu la folie surhumaine d’un explorateur comme Percy Fawcet.
David Grann est un modèle de minutie et d’exhaustivité, manquant de peu de se retrouver parmi « ces biographes qui sont dévorés par leur sujet », et après ce long récit, il ne restera plus à l’auteur et à son lecteur qu’à « imagin[er] une fin là où il n’en existait aucune » comme tant d’autres avant eux : Tintin et l’oreille cassée, Bob Morane, ou même Indiana Jones, pour ne citer que ces quelques références.
Car « la forêt seule sait tout »

Bruno Ménétrier

Bruno Ménétrier

Il était une fois les Amériques
Roman de David Grann
Traduction de l’anglais (US) de Valeria Costa-Kostritsky et Damien Aubel
Editeur : éditions du Sous-Sol
496 pages – 24,90 €
Date de parution : 7 mai 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.