Avec Segundo Premio, Isaki Lacuesta et Pol Rodríguez livrent un vrai-faux biopic du légendaire (en Espagne) groupe Rock de Grenade, Los Planetas, trop long à force de vouloir prendre le contrepied des attentes. Restent cependant quelques moments justes concernant le travail d’élaboration d’un album.

Même s’il s’agit d’une coproduction franco-espagnole, même si nous sommes dans un été creux rayon cinéma, il y a quelque chose de culotté à sortir en salles en France Segundo Premio, vrai-faux biopic d’un groupe de Rock indépendant espagnol de Grenade (Los Planetas) en activité depuis plus de 30 ans, populaire à domicile mais inconnu dans l’hexagone. Los Planetas n’est pas les Pixies, et, en dépit de son importance sur la carte du Rock espagnol mise en avant par les guides touristiques, Grenade n’est pas Manchester ou Seattle. C’est un peu comme si I’m not there était exploité dans un pays où Dylan serait inconnu.
Car, si Isaki Lacuesta et Pol Rodríguez prétendent avoir voulu faire d’un projet abandonné par Jonas Trueba un film destiné aux non-connaisseurs du groupe, les choses sont un peu plus compliquées en pratique. Ce film, qui prétend ne pas être un film sur la légende du groupe, a en commun avec Un Parfait Inconnu le choix d’une période de temps réduite (l’enregistrement de l’album Una Semana en el motor de un autobús qui établira définitivement en 1998 le mythe du groupe dans le paysage Rock espagnol).
Avec I’m not there, il partage la volonté de sortir des conventions de la version commerciale du biopic, notamment par un zéro lien assumé avec la réalité des faits. Il est cependant dommage que ce refus des conventions se fasse en partie à travers la voie de la connivence avec les fans du groupe et les fans de Rock, notamment via les voix off des membres du groupe. Comme ce moment qui rejoue le sabotage d’un playback télévisé par le groupe en annonçant au spectateur que c’est un évènement qui s’est produit et qu’on peut le vérifier sur le web.
Ou, à l’inverse, le départ de la bassiste qui tournait le dos au public en live sous forme de dispute amoureuse… avant que la voix off ne précise que c’est faux. Ou ce commentaire sur le groupe supposé incarner Grenade comme Joy Division incarnait Manchester. Sans parler de la plaisanterie sur l’âge des membres du groupe lors de l’enregistrement (27 ans, comme le Club des…), ou de celle sur la fameuse « alchimie d’un groupe de Rock » (un membre part, et ce serait comme H2O sans le O).
La connivence se fait aussi au travers du plan d’une de ces parties de baby foot du groupe dans un bar Rock faisant désormais partie de la légende, ou dans cette réplique évoquant l’idée que le Futur serait le Flamenco (qui justement sera à l’origine du second souffle artistique du groupe des années plus tard). De même qu’est mentionné l’album Omega, œuvre de Flamenco iconoclaste d’un Enrique Morente qui travaillera plus tard avec Los Planetas.
Le film est construit comme une suite de vignettes, tels les divers morceaux d’un album. Mais des vignettes hélas bien trop inégales. Les passages oniriques ne fonctionnent pas, comme tout ce qui concerne la lutte d’un membre contre l’addiction. Les moments concernant les discussions avec l’ex-bassiste, ainsi que tout ce qui concerne le trio amoureux à la Jules et Jim comme seul moyen de communication entre deux membres du groupe, sont trop longs.
Restent des choses qui fonctionnent. Par exemple l’idée d’un groupe en mode « fluctuat nec mergitur ». Contrairement au classique « Rise and Fall » des biopics hollywoodiens, le groupe est montré comme toujours au bord de la séparation, mais finissant par se régénérer. Comme avec l’arrivée d’un batteur aussi spectaculaire que Richard Kolinka, ou avec le retour d’un membre qui donnera un autre souffle aux sessions newyorkaises.
Il y a aussi l’écart entre le fait d’être dans un groupe pour échapper aux contraintes d’un travail comme tout le monde et le minimum de discipline imposé par l’enregistrement d’un album. Loin du mythe de la création artistique en mode « Eureka ! », le film raconte très bien le caractère laborieux du travail de composition, des répétitions permettant de trouver le morceau et de l’enregistrement.
Avant de conclure, petite parenthèse pour dire deux mots sur Isaki Lacuesta. Cet auteur catalan à la carrière et à la reconnaissance académique bien établies à domicile n’est pas vraiment dans les radars cinéphiles français. Son Un An, Une Nuit centré sur un couple de survivants des attentats du Bataclan avec entre autres Noémie Merlant avait été accueilli plus que tièdement par la critique hexagonale.
Il avait surtout déjà réalisé en 2006 un film imprégné de musique populaire espagnole : La Légende du Temps, dans lequel il était entre autres question d’une Japonaise débarquant à Cadix pour apprendre l’art du chant de Camarón de la Isla, artiste décédé qui modernisa le Flamenco à la fin des années 1970. Il a dirigé le tournage de Segundo Premio en visio pour rester au chevet de sa fille malade tandis que Pol Rodríguez coréalisait en présentiel.
Les éléments réussis de Segundo Premio ne suffisent pas à compenser le temps souvent long pendant le film, mais ce dernier aura au moins eu un intérêt : me pousser à me documenter. Je connaissais en effet Los Planetas, car il était un membre récurrent des listes de plus grands groupes indie espagnols. Mais pas les principaux éléments du mythe du groupe en Espagne, et encore moins l’aura de Ville Rock de Grenade au pays de Lorca. Une ville souvent fréquentée par Joe Strummer, au point qu’une partie des résidents a fini par obtenir une place à son nom.
Ordell Robbie